Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles associés au libellé Hélène Duclos

Connexions cérébrales

Il marche, il plante ses pieds, ses chevilles , ses genoux dans le froid de la terre et du ciel mélangés, durs, mouillés. Il ne sait plus, depuis des jours et des nuits à marcher, à tomber, se geler, se paralyser, sursauter comme une mécanique endurcie, il ne sait plus dans quel sens il va, dans quel sens va le monde. Il est encore enfant, presque enfant pourtant, de temps en temps il pense à sa mère, il a la sensation du lait, des langes rêches et secs. Taratata. Trois jeunes tambours – ça lui revient – s’en revenaient de guerre. Et tout le frappe à nouveau, le froid comme une cuirasse de fer s’abat dans ses côtes. Il frappe trois coups de baguette sur le pupitre. Ça s’arrête net. Il fait froid dans la salle de répétition. Martin regarde le plancher, entend le bruit du bois qui craque, sent la fadeur du bois, les fibres, la sécheresse partout, les échardes, la couleur terre du bois, des partitions, des cartons sur lesquels elles sont collées – pratique pour pouvoir les accrocher su...

Emmaüs

André met son manteau. Il a froid. Il lui faut retourner auprès d'Erevan. Le manteau, c'est cela le chemin. Dans l'obscurité du tissu feutré il y a quelque chose d’animal qui guide André vers ce qu’il cherche, vers cette histoire enfouie à laquelle il veut se raccrocher. Il se glisse dans ce flair lorsqu’il serre autour de son corps la vieille pelisse, la capote qu’il a trouvée à Emmaüs. Il s’y enfouit comme un museau de rat. Je le retrouve sur le trottoir. Je le vois de dos, il est courbé sur sa bière. Je vais le dépasser, il faut que je lui parle. "Bonjour", je me plante à sa hauteur. Lui sur son tabouret haut, moi debout, nos visages presque parallèles, un peu penchés en direction de la poitrine, comme pour préserver le souffle. Il grogne un bonjour presque indistinct. J'ai besoin de capter quelque chose pour continuer. C'est cela, un museau de rat. Je le dessinerai, je me laisserai guider par le crayon. Une ligne qui naît, qui vit et qui meurt, disai...

Visite

Il ne fait pas de bruit. Elle ne l’entend jamais arriver. Soudain il est là, à la porte-fenêtre du perron, elle est surprise, mais pas dérangée. Il est resté en bas des marches, un grand oiseau debout entre les ailes tombées de son manteau. C’est comme s’il sortait de ses pensées à elle, autrement que les corbeaux, qu’elle aime voir marcher sur les larges trottoirs de l’avenue ou les pies qui se posent sur un coin de toit et balancent la queue, acquiesçant, mettant un point d’orgue à leur juste présence. Ce silence quand il apparaît tombe dans la musique de ses pensées à elle. Une pause. Ou peut-être un soupir, qui relance un mouvement, donne une lumière. Elle lui ouvre la porte vitrée. Ou peut-être qu’elle attend un peu, se laisse finir un geste ou une phrase. « Bonjour monsieur Vannereau ! » lance-t-elle dans l’air, un oiseau qu’il saisit jaune comme mésange, ou d’autre jour rouge-gorge tiède, ou encore lièvre ou lézard. S’ils se rencontrent c’est la musique en eux...

mémé

Il m'arrive, lorsque j'ai froid aux mains, de penser aux gants de ma mémé. Quand j'étais petite, elle "me tricotait" de haut en bas, en finissant par les chaussettes. Si j'avais tiré un brin de laine de mon bonnet, je crois bien que je me serais détricotée de la tête aux pieds, jusqu'aux orteils. Les derniers temps, ça filait de traviole. Il y avait des mailles à l'envers et beaucoup de mailles perdues dans la tête de ma grand-mère. Je n'ai jamais pu enfiler la dernière paire de gants gris chiné pour la bonne raison qu'elle les avait tricotés avec les cinq doigts identiques, aussi sûrement alignés que les dents d'un peigne. Mes pouces n'y ont jamais trouvé leur chemin, il m'aurait fallu pour cela des mains d'extra terrestre... En la voyant s'obstiner sur son ouvrage, j'aurais pu lui dire : " c'est pas grave mémé, tricote moi des moufles" ou mieux: "tricote moi des moufles sans pouce...
je dors dans le nid des hirondelles sous les fougères entre les roses là où j'entends le son d'une feuille qui tombe sous son arbre dans le sable avec les couteaux je vis dans le cœur d'une marguerite et je ne pleure que dans la mer Astrid Waliszek Hélène Duclos, Les refuges des utopies 1, 2012