Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles associés au libellé Marcel Conche

Dans le fleuve d'Héraclite

  Dans le fleuve d'Héraclite poisson pêche poissons, poisson équarrit poisson avec poisson tranchant, poisson construit poisson, poisson habite poisson, poisson s'enfuit de poisson assiégé. Dans le fleuve d'Héraclite poisson aime poisson, tes yeux, dit-il, brillent comme poissons au ciel, je veux nager avec toi jusqu'à la mer commune, ô, toi, la plus belle du banc. Dans le fleuve d'Héraclite poisson inventa poisson des poissons, poisson se met à genoux devant poisson, et chante, et prie pour que poisson lui accorde une nage légère. Dans le fleuve d'Héraclite moi poisson singulier, moi poisson distinct, (ne serait-ce que de poisson-arbre et de poisson-rocher), j'écris à mes heures petits poissons à l'écaille si furtivement argentée, que c'est peut-être la nuit qui cligne des yeux, perplexe ? poème de Wislawa Szymborska, traduit du polonais par Piotr Kaminski Quelques extraits du commentaire que Marcel Conche a fait de ce poème, dans Présence de la nat...

Affaires célestes

  Les oiseaux dans les coquilles les coquilles dans la main la main dans le paysage contre le ciel ! Miniature de la nature accueillante, qui fait à chacun sa place. Nature, la plus talentueuse artiste... et même [dit Montaigne citant Ciceron (De Natura deorum, I, 27) ] ... "adroite amadoueuse et habile entremetteuse pour elle-même" , "parce qu'elle porte [dit Marcel Conche dans une note de Montaigne ou la conscience heureuse ] "chaque espèce de ses créatures à se préférer à toute autre". L'écologie philosophique depuis longtemps ouverte nous offre des horizons ineffables. Pascal résume bien, dans son croquis vertigineux et intime et à la fois : "le centre est partout, la circonférence nulle part"... Mais revenons à nos affaires. Que dit l'oiseau, le mignon de la nature ? demande Montaigne (Essais II, XII, Apol. de Raymond Sebond, ed. Plattard, p. 294) : « ... Pourquoi ne dira un oison ainsi : "Toutes les pièces de l'univers me ...

Les ânes choisiraient la paille

    Les ânes choisiraient la paille plutôt que l'or   Héraclite CIII 123 (9 DK) Valeur et non-valeur sont deux qualités contraires que l'on trouve à la fois sur la paille et sur l'or. Mais comme contraires immanents, il y aurait contradiction. Comme contraires relatifs, la contradiction est levée : la paille a de la valeur pour l'âne, est sans valeur pour l'homme, l'or a de la valeur pour l'homme, est sans valeur pour l'âne. La valeur de la paille est naturelle, car l'âne se nourrit de paille, la valeur de l'or est conventionnelle. Chacun, homme et âne, vit dans son monde, monde qui, dans un cas s'inscrit au sein de la nature, non dans l'autre.  Héraclite aurait pu confronter deux mondes naturels, écrivant par exemple : « Les ânes choiraient la paille plutôt que les vers de terre. » Cela suffirait pour expliquer ce que sont les contraires relatifs. En disant : « Les ânes préfèreraient la paille à l'or », il laisse entendre que l'o...

Les sens

Ce dont il y a vue, ouïe, perception, c'est cela que, moi, je préfère Arguant des "erreurs" ou des "illusions" des sens, les philosophes ont souvent douté que les sens méritent confiance quant à la connaissance des choses sensibles. Pour Héraclite, au contraire, comme pour Épicure, les sens sont les révélateurs de la réalité environnante. Des récits disent ce que certains ont vu ou entendu, dont ils ont eu la perception sensorielle. Mais je préfère voir, entendre, bref percevoir moi-même ce dont on parle, dit Héraclite. Les sens révèlent le réel – du moins au libre regard du philosophe. Car le regard de l'homme quelconque, par exemple du chasseur qui voit un lapin, est un regard préoccupé, qui exclut tout étonnement devant de il y a . Le lapin est – semble être, pense le philosophe. Héraclite XLVIII 74 (55 DK) commenté par Marcel Conche, puf, 2017 photo r.t

Le droit de vouloir vivre

           Lorsque le bébé a soif, il crie, et chacun comprend qu'il réclame à boire. On doit, pense-t-on, lui donner à boire, et ce devoir est le corrélat d'un droit qu'on lui reconnaît de vouloir vivre. On parle des affamés du tiers-monde. Nul ne conteste leur droit de vouloir se nourrir et vivre, et beaucoup ressentent, corrélativement à ce droit qu'ils leur reconnaissent, le devoir de les aider. Nous ne parlons pas d'un "droit à la vie ou d'un "droit de vivre", mais d'un droit de vouloir vivre. Parler d'un "droit à la vie", à moins que ce soit une façon cursive de parler du droit de chacun de vouloir vivre, n'a pas de sens. Supposons qu'un homme jeune soit atteint d'une maladie mortelle. Il voit venir la mort. A qui se plaindra-t-il ? A qui dira-t-il : "J'ai droit à la vie" ? Il faudrait que ce soit à quelqu'un à qui il puisse dire : "Faites que je vive". Mais s'il s'adr...