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Affichage des articles associés au libellé Pierre Soulages
  1919 Elles allaient d'un village à l'autre, et dans chacun (ou du moins ce qu'il en restait) d'une maison à l'autre, parfois une ferme en plein champ qu'on leur indiquait, qu'elles gagnaient en se tordant les pieds dans les mauvais chemins, leurs chaussures de ville souillées d'une boue jaune que l'une des deux sœurs parfois essuyait maladroitement à l'aide d'une touffe d'herbe, tenant de l'autre main son gant noir, penchée comme une servante, parlant d'une voix grondeuse à la veuve qui posait avec impatience son pied sur une pierre ou une borne, la laissant faire tandis qu'elle continuait à scruter avidement des yeux le paysage, les prés détrempés, les champs que depuis cinq ans aucune charrue n'avait retournés, les bois où subsistait ici et là une tache de vert, parfois un arbre seul, parfois seulement une branche sur laquelle avaient repoussé quelques rameaux crevant l'écorce déchiquetée. Cette phrase, c'est c...

qui répétait sans fin et après et avant Histoire

Chez un bouquiniste, il acheta les quinze ou vingt tomes de La Comédie humaine reliés d'un maroquain brun-rouge qu'il lut patiemment, sans plaisir, l'un après l'autre, sans en omettre un seul, en écoutant le vent frotter les toits avec bruit, faire battre quelque part un volet. En dehors de rares parents, il ne connaissait dans la ville qu'un vieux peintre perpétuellement ivre qui répétait sans fin les mêmes vergers de pêchers en fleurs et chez lequel il rencontra quelques gens échoués là comme lui. Peu à peu il changeait. Il recommença à lire les journaux, regardant les cartes qu'ils publiaient, les noms des villes, des côtes ou des déserts où continuaient à se livrer des batailles. Un soir il s'assit à sa table devant une feuille de papier blanc. C'était le printemps maintenant. La fenêtre de la chambre était ouverte sur la nuit tiède. L'une des branches du grand acacia qui poussait dans le jardin touchait presque le mur, et il pouvait voir les ...

Instants multiples

Le feu ronfle dans la cheminée pendant que dehors souffle le vent par courtes rafales – soirées d'hiver – souvenirs oubliés – gestes esquissés – débuts de phrases – mots suspendus. Il est des amours mortes et des fleurs fanées, des mondes inconnus et des astres éteints – il est aussi des rivages inexpugnables bordés de rochers creux et de vastes éboulis – des cieux d'encre – des murs effondrés. De loin en loin sonne le tocsin. Il n'est point de refuge – ni d'encorbellement où le pauvre pèlerin trouvera un abri – il est si long le chemin qui mène jusqu'au rivage de l'île de Lesbos aux vergers odorants, à la senteur de myrte et de rhododendrons – point d'écho ni de bruits répondant à mes plaintes – seul le silence – et les vagues viennent battre les rivages de mon âme torturée – et puis un peu plus loin, à l'écart, à l'ombre d'un cytise paît un chevreau roux. Temps suspendu – rêve inaccompli – troublé par le murmure d'un ruisseau empli d...