Il marche, il plante ses pieds, ses chevilles , ses genoux dans le froid de la terre et du ciel mélangés, durs, mouillés. Il ne sait plus, depuis des jours et des nuits à marcher, à tomber, se geler, se paralyser, sursauter comme une mécanique endurcie, il ne sait plus dans quel sens il va, dans quel sens va le monde. Il est encore enfant, presque enfant pourtant, de temps en temps il pense à sa mère, il a la sensation du lait, des langes rêches et secs. Taratata. Trois jeunes tambours – ça lui revient – s’en revenaient de guerre. Et tout le frappe à nouveau, le froid comme une cuirasse de fer s’abat dans ses côtes.
Il frappe trois coups de baguette sur le pupitre. Ça s’arrête net. Il fait froid dans la salle de répétition. Martin regarde le plancher, entend le bruit du bois qui craque, sent la fadeur du bois, les fibres, la sécheresse partout, les échardes, la couleur terre du bois, des partitions, des cartons sur lesquels elles sont collées – pratique pour pouvoir les accrocher sur le pupitre de l’instrument quand on défile, quand on marche. « Pas redoublé » est indiqué sous le titre du morceau, ça doit être une survivance de la guerre.
De temps en temps il y a moins de monde, seulement les enfants, c’est le jeudi après-midi. Pour eux c'est un monde qui s’ouvre enfin. Ils vont vers un jardin fabuleux, un paysage encore lointain dont les couleurs, les odeurs, la musique s'accrochent un instant à leurs désirs, s’engouffrent dans leur rêve. Bleu, solaire, enchanté comme un coq au matin, un monde futur qui leur fait signe.
Et puis le remue-ménage des hommes, les bruits gros, cocasses, de leurs instruments, leurs voix fortes qui se mélangent, la lumière électrique qui leur fait des visages grotesques, leurs manches, leurs mains et tout d’un coup ça repart. La fanfare. Ou le chant d’un saxophone. Ou le gazouillis d’une flûte.
Les enfants marchent sur la musique. Comme dans les feuilles mortes de l'avenue, qui font des rivières à l'automne, dans lesquelles se baigner les chevilles jusqu'aux genoux, lancer les cartables, remonter le courant, s'y épuiser. On y entend un flot d'ailes, des claques, des caresses, des glissades. Ce sont des tours de passe-passe que cette musique fraîche et sèche à souhait, qu'ils descendent, et remontent, poursuivent comme une balle qu'on joue, comme un jouet qu'on tire ou qu'on laisse tirer par une ficelle.
C'est toute l'enfance portée par la musique.
Et puis il l'oublie, ça s'enfouit dans sa gorge.
Gravure de Hélène Duclos, Connexions cérébrales #4
Il frappe trois coups de baguette sur le pupitre. Ça s’arrête net. Il fait froid dans la salle de répétition. Martin regarde le plancher, entend le bruit du bois qui craque, sent la fadeur du bois, les fibres, la sécheresse partout, les échardes, la couleur terre du bois, des partitions, des cartons sur lesquels elles sont collées – pratique pour pouvoir les accrocher sur le pupitre de l’instrument quand on défile, quand on marche. « Pas redoublé » est indiqué sous le titre du morceau, ça doit être une survivance de la guerre.
De temps en temps il y a moins de monde, seulement les enfants, c’est le jeudi après-midi. Pour eux c'est un monde qui s’ouvre enfin. Ils vont vers un jardin fabuleux, un paysage encore lointain dont les couleurs, les odeurs, la musique s'accrochent un instant à leurs désirs, s’engouffrent dans leur rêve. Bleu, solaire, enchanté comme un coq au matin, un monde futur qui leur fait signe.
Et puis le remue-ménage des hommes, les bruits gros, cocasses, de leurs instruments, leurs voix fortes qui se mélangent, la lumière électrique qui leur fait des visages grotesques, leurs manches, leurs mains et tout d’un coup ça repart. La fanfare. Ou le chant d’un saxophone. Ou le gazouillis d’une flûte.
Les enfants marchent sur la musique. Comme dans les feuilles mortes de l'avenue, qui font des rivières à l'automne, dans lesquelles se baigner les chevilles jusqu'aux genoux, lancer les cartables, remonter le courant, s'y épuiser. On y entend un flot d'ailes, des claques, des caresses, des glissades. Ce sont des tours de passe-passe que cette musique fraîche et sèche à souhait, qu'ils descendent, et remontent, poursuivent comme une balle qu'on joue, comme un jouet qu'on tire ou qu'on laisse tirer par une ficelle.
C'est toute l'enfance portée par la musique.
Et puis il l'oublie, ça s'enfouit dans sa gorge.
Gravure de Hélène Duclos, Connexions cérébrales #4
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