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Articles

Affichage des articles associés au libellé Victor Brauner

Attachements (2)

  Les premiers mots du livre : On a longtemps défini les humains par les liens les unissant les uns aux autres : nous sommes les seuls à communiquer par le langage, nous seuls avons des conventions sociales et des lois pour organiser nos interactions. Or les humains se distinguent aussi par les relations très singulières qu'ils établissent au-delà d'eux-mêmes, avec les animaux, l'environnement, le cosmos. Aucune espèce n'entretient de liens si denses avec tant d'autres êtres vivants et aucune n'a un tel impact sur leur destin. Sur tous les continents, chasseurs-cueilleurs, horticulteurs ou pasteurs nomades interagissent de mille manières avec une multitude de plantes et d'animaux pour se nourrir, se vêtir, se chauffer et s'abriter. Partout, les groupes humains s'attachent effectivement à des animaux qu'ils apprivoisent, qu'ils intègrent dans leur espace quotidien et avec lesquels ils partagent habitat, socialité et émotions. Ainsi, aucune soc...

Attachements (1)

  Je traînais le nez sur mon assiette, je n'avais pas très bon appétit. Mais il fallait manger ! maman me stimulait souvent... c'était les années d'après-guerre... "Mange, tu sais pas qui te mangera !" disait-elle. Cette expression me faisait dresser l'oreille, m'amusait, m'inquiétait, m'étonnait surtout venant de la bouche de ma mère, une femme polie et délicate. Peut-être cela me donnait-il un petit élan conquérant, je crois, pour entrer dans le jeu un instant, le temps d'une bouchée. Cette étrangeté de l'expression m'est toujours restée, même après avoir vécu, compris ou imaginé les détours de la question à la faveur des contes — d'ogres et d'ogresses —, en avoir moi-même écrits, interprétés, avoir fouillé parmi la littérature, les mythologies, l'anthropologie, pour bien me baigner dans ce mystère réjouissant, dans cette mer lourde et profonde, fraîche de vie où se renouvelle chaque jour mon plaisir et mon étonnement. J...

Rancière

Prendre un grand bol d'air un grand verre d'eau un grand rayon de soleil ! avec Jacques Rancière https://www.youtube.com/watch?v=a3ezVXwQlkk    Envolement, Victor Brauner

L'eau et les yeux

Mia Couto est un célèbre écrivain du Mozambique. Il écrit sur l'eau comme personne — toutes les sortes d'eau : le fleuve, la mer, la pluie — sur l'eau et sur les yeux. Un de mes livres préférés est "La pluie ébahie". Ne faut-il pas à la pluie quelque parenté avec le regard, pour être ébahie ?... Dans un autre livre de Mia Couto ("Les sables de l'empereur") habite un personnage, Dabondi, une femme africaine qui semble avoir un étrange savoir, et d'étranges pouvoirs. Elle laisse échapper de façon inattendue, d'un chapitre à l'autre, des récits, des légendes qui nous font entrevoir, peu à peu, d'étonnantes profondeurs. Je m'en suis fait l'écho déjà dans butin ( Parole de Dabondi ). Voici deux autres de ses récits:  exergue du chapitre 14 En traversant une forêt un homme fut attaqué par des voleurs. Ils le frappèrent, le déshabillèrent, lui arrachèrent les yeux et l'attachèrent à un arbre. Au milieu de la nuit, les yeux du mal...
  Dans le mur d'Adèle Fauroi, entre la porte et la croisée, est scellée la boîte aux lettres. Tant que le chemin est libre, Hélion, le facteur, en même temps cordonnier à Rouinas , vient tous les jours faire "la levée", n'apportant et n'emportant souvent rien. "Heureusement moi, dit-il, sans moi, vous moisiriez." Il a un épais matelas de cheveux noirs, mais il est blond. Les yeux bleus, le teint roux, moustache et sourcils de cuivre, et les oreilles farcies de crins dorés. Sa joue droite porte la crête blanche d'une cicatrice, ce qui reste de sa lutte contre les deux aigles. Un jour d'hiver, en montant faire sa tournée, quelques minutes avant le Maupas il avait aperçu un aigle tournoyant et resserrant ses cercles sur le fil de sa tête. Instinctivement l'homme, aiguisant ses yeux et ses oreilles, cherche autour de lui dans la neige le lièvre ou la marmotte. Rien, claquement, sifflement, ombre et rafale glacée des ailes formidables. ...

L'indifférence

   La primatologue Barbara Smuts raconte que, lorsqu'elle a commencé son terrain avec les babouins, au parc de Gombé, en Tanzanie, elle a suivi à la lettre les règles prescrites pour la méthode dite d'«habituation». Cette méthode consiste, je le rappelle, à pouvoir, par approches successives, être au plus proche des animaux observés, ce que les babouins préfèrent généralement éviter. La règle est simple : il faut observer les animaux en prenant garde à ne pas les déranger. En fait, cette règle, avant d'être éthique, est épistémologique. C'est la règle de conduite dictée par les conventions d'une science objective : il s'agit de ne pas influencer, de «n'être pas là». Il s'agit donc, selon les termes même de Barbara Smuts, de s'approcher au plus près des babouins pour récolter des observations en essayant d'être le plus neutre possible, comme un rocher, non disponible, de telle sorte qu'à la fin les babouins vaqueraient à leurs affaires comme s...

Initiation

Sow amarre solidement l’outre pleine d’eau et la cale juste à côté du sac en jute qui contient les provision des deux pisteurs engagés hier par Pierre D. (je n’inscris pas son nom en entier car je crois qu’il est à ce jour conservateur d’un immense parc national en Afrique de l’Ouest.) Les provisions ! du singe boucané, du riz, de la farine à foufou, l’eau est dans la peau de chèvre, et dans nos gourdes aussi. Nous allons quitter Niamey pour Zinder, Maradi, puis la brousse, c’est un reportage pour moi et la revue Balafon, pour Pierre… son rendez-vous avec les crocodiles du fleuve Niger. Je ne suis en Afrique que depuis un an, je ne sais pas encore que je vais y passer un peu plus d’un tiers de ma vie, que cette terre entrera en moi à jamais et que son empreinte sur mon cœur sera le signe magique, le détonateur de toutes mes folles énergies à venir. La première nuit en brousse n’est pas vraiment totalement rassurante. Je dors sur le toit de la Land Rover, les hommes ont fait du...