Accéder au contenu principal

Visite

Il ne fait pas de bruit. Elle ne l’entend jamais arriver. Soudain il est là, à la porte-fenêtre du perron, elle est surprise, mais pas dérangée. Il est resté en bas des marches, un grand oiseau debout entre les ailes tombées de son manteau.
C’est comme s’il sortait de ses pensées à elle, autrement que les corbeaux, qu’elle aime voir marcher sur les larges trottoirs de l’avenue ou les pies qui se posent sur un coin de toit et balancent la queue, acquiesçant, mettant un point d’orgue à leur juste présence. Ce silence quand il apparaît tombe dans la musique de ses pensées à elle. Une pause. Ou peut-être un soupir, qui relance un mouvement, donne une lumière.
Elle lui ouvre la porte vitrée. Ou peut-être qu’elle attend un peu, se laisse finir un geste ou une phrase.
« Bonjour monsieur Vannereau ! » lance-t-elle dans l’air, un oiseau qu’il saisit jaune comme mésange, ou d’autre jour rouge-gorge tiède, ou encore lièvre ou lézard. S’ils se rencontrent c’est la musique en eux qui le joue dans l’instant.
Les petits se précipitent, ou bien se font tirer l’oreille, se dérangent de mauvaise grâce pour aller lui chercher son sirop à la pharmacie. Ils parlent peu, et toujours poliment.
Lui, par peur des quintes de toux, déglutit en faisant des petits bruits de bouche qu’il voudrait discrets mais qui sont devenus la risée de tous les enfants du bourg. Elle le fait asseoir et pendant qu’il écarte son écharpe, se dégage un peu des pans de son manteau, elle prépare quelque boisson chaude, un peu de miel ou de pâtisserie à lui offrir.


Peinture Hélène Duclos, 2017, En connaissance de cause #2, détail, huile sur toile 130 x 97cm.

Commentaires

  1. Belle rencontre de silence et musique en quotidienneté avec un homme/oiseau autour de mets partagés dans le texte; et de noir blanc bleu dans ces formes, en traits précis/indécis sur la toile. Au- dessus le babil des oiseaux : un réseau de fils divers. Magie d'un tissage.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu trouveras sur cette page http://helene-duclos.fr/evenements-paralleles/ d'autres réseaux, babils et rencontres, ainsi que d'autres détails et toute la lumière sur "en connaissance de cause" d'Hélène Duclos dont je n'ai pas besoin de te dire combien j'aime son travail et le sens proche de mon univers.
      Et merci pour ton regard/écoute.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Dans l'atelier

  C’est dans cet atelier que je veux vivre maintenant. J’y ai mis toutes mes affaires, j’ai essayé tous les coins. J’ai regardé dans tous les sens si je pourrai trouver l’espace d’entrer et de sortir. Si je pourrai transporter assez de moi-même et le disposer comme bon me semble, le partager en morceaux, le rassembler, le mettre en tas. Je veux me cacher dessous, me creuser des failles pour traverser de part en part de l’ombre à la lumière. Il n’y aura pas une petite bête que je ne pourrai aller voir et sympathiser avec, me la mettre entre les jambes, la chevaucher si je veux ou me rouler sur le dos et nous oublier aussi longtemps que le jeu voudra aller. Tiens ! Je pourrais inviter qui je veux à entrer et sortir et s’essayer à toutes les places pour voir comment ça fait d’être moi et moi d’être elle ou lui. Et même les rats, et même les oiseaux morts ou les pétales froufrous tout frais des étoffes des fleurs caressant la peau, sentant bon l’eau des jardins. Pour Adèle, 6...

Attachements (2)

  Les premiers mots du livre : On a longtemps défini les humains par les liens les unissant les uns aux autres : nous sommes les seuls à communiquer par le langage, nous seuls avons des conventions sociales et des lois pour organiser nos interactions. Or les humains se distinguent aussi par les relations très singulières qu'ils établissent au-delà d'eux-mêmes, avec les animaux, l'environnement, le cosmos. Aucune espèce n'entretient de liens si denses avec tant d'autres êtres vivants et aucune n'a un tel impact sur leur destin. Sur tous les continents, chasseurs-cueilleurs, horticulteurs ou pasteurs nomades interagissent de mille manières avec une multitude de plantes et d'animaux pour se nourrir, se vêtir, se chauffer et s'abriter. Partout, les groupes humains s'attachent effectivement à des animaux qu'ils apprivoisent, qu'ils intègrent dans leur espace quotidien et avec lesquels ils partagent habitat, socialité et émotions. Ainsi, aucune soc...

Palette de Simone et André Schwarz-Bart

      Née au milieu du siècle des Lumières, Julie de Montaignan était la deuxième fille de petits hobereaux poitevins. Depuis enfant elle se savait en trop, et que ne pouvant donner de dot convenable qu’à l’aînée, ses parents la mettraient au couvent, sauf si sa beauté lui conférait quelque valeur supplémentaire aux yeux des épouseurs ; mais dès qu’elle eut dix ans, sans qu’elle fût vraiment vilaine, elle sut qu’il n’y fallait pas vraiment songer et accepta cet avenir bouché par sa sœur. Les portes du couvent se refermèrent. Les années s’envolèrent pour elle comme pour ses compagnes. De temps en temps, un parent accompagné d’un inconnu, généralement âgé, venait observer l’une d’elles à travers les grilles. Parfois l’affaire se faisait, les tendres nœuds de l’hymen se nouaient, et le départ laissait un grand vide que ne comblaient pas Dieu et les anges. Chaque fois que Julie ressentait un grand désir du monde, elle s’ingéniait à le réprimer par toutes sortes de moyens...

Mer et Oiseaux

  La cabane aux oiseaux était entrée par effraction dans la vie d’Élie. C’était le domaine réservé de Lisa, son laboratoire, disait-elle. Une drôle de cabane au fond du jardin où Élie ne s’aventurait jamais, jusqu’à ce jour où, ayant une nouvelle à lui annoncer et s’approchant, la croyant là, il eut l’œil attiré par de petits objets entreposés, tous de la même taille, colorés. Curiosité poussant, il avait pénétré dans l’atelier. Des rangées et des rangées de menus cadavres d’oiseaux se trouvaient là. Les uns tels quels, plumes joliment lustrées, d’autres naturalisés, revêtus de minuscules manteaux de laine de couleur et tous posés sur le dos, pattes en l’air. D’où pouvaient venir ces oiseaux ? Depuis combien de temps Lisa s’adonnait-elle à cette occupation et dans quel but ? Le doute avait été levé par Lisa : La Déferlante ! La vague meurtrière que Lisa connaissait depuis son enfance et qui pour Élie n’était qu’un mot. Déferlante qu’elle n’avait plus jamais vécue seule depuis ce fa...

Comme des enfants

     La guerre avait produit beaucoup d'enfants étranges, mais Chiko était unique en son genre. Sa mémoire, disait-on était incomparable. Il pouvait répéter trente nombres comme s'il n'y en avait pas trente mais trois, sans être pris en défaut. Je le vis pour la première fois dans un camp de réfugiés en Italie, en route vers Israël. Il errait alors avec un groupe d'enfants artistes de sept ou huit ans. Il y avait parmi ces enfants des jongleurs, des cracheurs de feu et un garçon qui marchait sur une corde tendue entre deux arbres ; il y avait aussi une petite chanteuse, Amalia, qui possédait une voix d'oiseau. Elle ne chantait pas dans une langue connue mais dans sa langue à elle, qui était un mélange de mots dont elle se souvenait, de sons des prairies, de bruits de la forêt et de prières du couvent. Les gens l'écoutaient et pleuraient. Il était difficile de savoir de quoi parlaient ses chansons. Il semblait toujours qu'elle racontait une longue histoire pl...

Le maître ignorant

       Parmi les meilleures parts du butin que j'ai amassé, il y a le récit d'une aventure, cette fable , ainsi que j'ai envie de l'appeler, chapitre introductif du livre de Jacques Rancière qui conte l'aventure bien réelle de Joseph Jacotot, le maître ignorant. Son expérience radicale, qui instaure au travers de l'apprentissage intelligent une incontestable émancipation, est magnifiée par Jacques Rancière, qui va explorer avec une folle clarté le génie de cet homme... et son implication problématique en regard de la société, de la philosophie, de la politique. Un magnifique livre, Le maître ignorant , nommé comme un conte, et qui fait hommage à un homme savant. «  En l'an 1818, Joseph Jacotot, lecteur de littérature française à l'université de Louvain, connut une aventure intellectuelle. Une carrière longue et mouvementée aurait pourtant dû le mettre à l'abri des surprises : il avait fêté ses dix-neuf ans en 1789. Il enseignait alors la rhétorique à...

Là où tout se tait -2/2-

  Le début du livre : Parfois, on peut être troublé non par une histoire mais par notre négligence, en tout cas notre indécision à l'entendre, bien qu'on ait l'intuition que c'est une belle histoire, et malgré les échos qui resurgissent à chaque fois que l'on traverse l'endroit où elle s'est déroulée. Une nuit où je me trouvais en panne près de Rugunga, une colline à l'ouest de Nyamata, a été évoquée celle d'Isidore Mahandago. C'était à la lueur d'une lampe à pétrole, dans une cour bruissante d'exclamations qui tenait lieu de cabaret. Des cultivateurs rassemblés autour d'un jerrican d'urwagwa déjà bien entamé se rappelèrent pour une raison ou une autre les circonstances de sa mort aux premiers jours du génocide, puis très vite se turent. Depuis, plus de vingt ans se sont écoulés, mais à chaque fois que je suis repassé en camionnette près de sa maison, une bâtisse couverte de tuiles beiges — comme les construisaient les Hutus origi...

Fous et enfants

    Dans le ghetto, les enfants et les fous étaient amis. Tous les repères s'étaient effondrés : plus d'école, plus de devoirs, plus de lever le matin ni d'extinction des feux la nuit. Nous jouions dans les cours, sur les trottoirs, dans les terrains vagues et de multiples endroits obscurs. Les fous se joignaient parfois à nos jeux. Eux aussi avaient tiré profit du chaos. L'hospice et l'hôpital psychiatrique avaient été fermés, et les malades, livrés à eux-mêmes, erraient dans les rues en souriant. Dans leurs sourires, en dehors du sourire lui-même, il y avait quelque chose d'une joie maligne, comme s'ils disaient : "Toutes ces années vous vous êtes moqués de nous car nous mélangions un sujet et l'autre, un temps et l'autre, nous n'étions pas précis, nous désignions les lieux et les objets par d'autres noms. A présent il est clair que nous avions raison. Vous ne nous avez pas crus, vous étiez si sûrs de votre bon droit et vous nous mépri...

D'elle en oiseau

   Ce soir elle n’a pas envie de dormir. Elle va et vient sans bruit pour ne pas éveiller Frank. Vent de force cinq, mer agitée. Derrière la fenêtre le vent secoue brutalement les acacias et bouscule les cyprès. La pleine lune s’installe. La nuit précédente Célia avait été réveillée par un drôle de bruit, régulier, profond. Ce n’était pas celui du ressac. Plus vibrant, chatoyant : les grands préparatifs d’envol des oies bernaches. Voici plusieurs jours que des milliers d’oiseaux bruns et blancs se rassemblaient à la pointe d’Arceau. À marée basse, ils amerrissaient, se survolaient, cherchaient leur place, cancanant, s’exerçant à former l’escadre, nommant leurs chefs de file, évaluant les repères, dans une puissante houle, un adieu aux territoires de l’été, dans l’instinctif besoin, l’attraction irrépressible du voyage. Frank se retourne bruyamment sur le lit, ouvre un œil et bougonne : – Tu ne dors pas ? Comment dormirait-elle quand il se passe, et sans elle, l’évènement ? Des...

La Végétarienne

  Les innombrables arbres qu'elle a vus au cours de sa vie, les vagues de forêts recouvrant le monde comme un océan sans pitié l'enveloppent dans sa fatigue et s'enflamment. Les villes, les villages et les routes remontent en surface comme des îles, petites ou grandes, comme des ponts, mais sont repoussés par ces houles brûlantes qui les emportent doucement vers une destination inconnue. Elle ne comprend pas ce que signifient ces coulées. Ni ce que voulaient lui dire les arbres qu'elle a vus, cette aube-là, au bout du sentier de la colline, se dressant dans la pénombre comme des flammes bleues. Il ne s'agissait pas de mots de tendresse, de consolation ou de soutien. Ce n'était pas non plus l'encourager et l'aider à se relever. C'était au contraire les paroles d'êtres cruels, hostiles au point d'être effrayants. Elle avait eu beau regarder autour d'elle, elle n'en avait pas trouvé un seul qui voulût bien recueillir sa vie. Aucun d'...