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Articles

Affichage des articles du juin, 2021
  Dans le mur d'Adèle Fauroi, entre la porte et la croisée, est scellée la boîte aux lettres. Tant que le chemin est libre, Hélion, le facteur, en même temps cordonnier à Rouinas , vient tous les jours faire "la levée", n'apportant et n'emportant souvent rien. "Heureusement moi, dit-il, sans moi, vous moisiriez." Il a un épais matelas de cheveux noirs, mais il est blond. Les yeux bleus, le teint roux, moustache et sourcils de cuivre, et les oreilles farcies de crins dorés. Sa joue droite porte la crête blanche d'une cicatrice, ce qui reste de sa lutte contre les deux aigles. Un jour d'hiver, en montant faire sa tournée, quelques minutes avant le Maupas il avait aperçu un aigle tournoyant et resserrant ses cercles sur le fil de sa tête. Instinctivement l'homme, aiguisant ses yeux et ses oreilles, cherche autour de lui dans la neige le lièvre ou la marmotte. Rien, claquement, sifflement, ombre et rafale glacée des ailes formidables.

Le dernier feu

    Ce village, là-haut, sur l'échine galeuse de la colline et confondu dans la pierraille, c'est Orpierre-d'Asse. On y arrive Dieu sait comme. Surtout les charrettes. Les bêtes ne perdent pas le collier ! L'André le convoyeur qui, pour une fois par quinzaine, monte pourvoyer l'Anna, en sait quelque chose. On peut lui en parler. Si c'est pour le plaisir de l'entendre jurer... Le cheval a son compte avant les premières maisons. Il s'est arrêté plusieurs fois pour reprendre le souffle. Sous le village sont les deux plus mauvais pas : le tournant de l'oratoire, avec le cyprès coupé par le vent, et celui du sorbier, en haut du précipice. Arrivé sous le plus bas, l'André, deux doigts dans la bouche, siffle le Clermond Gilly qui s'amène avec deux bêtes de renfort glissant et faisant du feu des quatre fers sur les roches luisantes comme un rebord de bénitier. Quelque chose qui ne doit pas plaire au petit saint Roch poussiéreux de la niche, sous la g

Les Reculas

       Le monde est encore à travailler dans les champs. Malgré que le soleil ait dételé depuis une grande heure, il reste encore beaucoup de jour. Sur les aires vides où le marcher est souple dans l'herbe rase, Béatrix, qui mesure sa taille avec ses mains, fait le va-et-vient d'une meule de paille à l'autre, respire les horizons. De quelque côté que l'on se tourne ici, sur cet immense plateau cerné de lointaines collines pâles, les yeux reposent au ciel. Sauf au nord où se pressent de grandes montagnes.      C'est là-haut, au fin fond de tout, que sont les Reculas de Marcelle.      « Des aires, écrivait-elle dans sa dernière lettre, regardez bien, et si vous voyez une montagne dépassant toutes les autres, c'est celle-là, c'est ce vieux Carcan qui nous prend le soleil. »      Dans de lointaines brumes bleues, Béatrix voit se reculer des montagnes émergeant comme de grandes vagues élancées. Celle dont parle sa sœur ne se voit pas. Dieu sait où elle plonge s

Capturer

  Rien ne nous appartient. Et cette communion de galets, d'écume et de lumière, réajuste l'humeur. Quand la ville, parfois, n'offre qu'étrange vide, la mer, défroissée, sans révolte, unie, peut submerger d'ivresse, devenir confidente, douceur perçante, complice. Rien ne nous appartient. capturer un instant cet absolu de vie. Photo et texte de Milou Margot

Les ânes choisiraient la paille

    Les ânes choisiraient la paille plutôt que l'or   Héraclite CIII 123 (9 DK) Valeur et non-valeur sont deux qualités contraires que l'on trouve à la fois sur la paille et sur l'or. Mais comme contraires immanents, il y aurait contradiction. Comme contraires relatifs, la contradiction est levée : la paille a de la valeur pour l'âne, est sans valeur pour l'homme, l'or a de la valeur pour l'homme, est sans valeur pour l'âne. La valeur de la paille est naturelle, car l'âne se nourrit de paille, la valeur de l'or est conventionnelle. Chacun, homme et âne, vit dans son monde, monde qui, dans un cas s'inscrit au sein de la nature, non dans l'autre.  Héraclite aurait pu confronter deux mondes naturels, écrivant par exemple : « Les ânes choiraient la paille plutôt que les vers de terre. » Cela suffirait pour expliquer ce que sont les contraires relatifs. En disant : « Les ânes préfèreraient la paille à l'or », il laisse entendre que l'o