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Articles

  J'oublie Gaza la Tchétchénie Guantanamo. J'oublie les écoles incendiées et les enfants brûlés vifs les parents aux yeux éteints - d'où toute lumière a soudain disparu. J'oublie les enfants bourrés de résidus chimiques ceux qui à chaque instant frappent à la frontière d'une vie inconnue. Mais personne ne leur ouvre. J'oublie le fanatisme des matchs de football l'éternelle bousculade les braillements des spectateurs qui veulent leur mamelle. J'oublie ceux qui luttent pour davantage de vacances davantage de temps sans les autres. J'oublie qu'une cuite est déjà un petit séjour à la clinique de désintoxication (aussi nommée la Cale sèche). J'oublie les milliers d'antennes de télé plantées partout espèce d'extincteurs qui crachent des images de rêve jusqu'à ce que les rêves explosent dans toutes les têtes. J'ai déjà mentionné les politiciens mais j'oubliais de dire qu'ils font partie de la bêtise du cynisme de l'étroit...
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Pensez-vous penser ?

  A la sortie de la seconde guerre mondiale, Adorno, en observateur perçant de la société capitaliste technicisée qui se développe à grande vitesse, me semble souvent avoir vu ce qu'allait devenir notre monde de 2025. Il nous pose une quantité de bonnes questions. Ici, dirai-je, dans cet aphorisme titré non sans humour "Q.I.", la question suivante : Pensez-vous penser ? Les comportements adaptés au stade le plus avancé du développement technique ne se limitent pas aux secteurs où ils sont effectivement requis. C'est ainsi que la pensée ne se soumet pas seulement au contrôle social là où il est imposé professionnellement, mais adapte l'ensemble de sa complexion à ce contrôle. Du fait que la pensée se pervertit en résolvant les tâches qui lui sont assignées, elle traite même ce qui ne lui a pas été assigné suivant le schéma de ces tâches. La pensée qui a perdu son autonomie ne se risque plus à saisir le réel pour lui-même et en toute liberté. Pleine d'illusions ...

Petit Jean

  L'intellectuel, surtout celui qu'attire la philosophie, est coupé de la vie pratique : la répulsion qu'elle lui inspire l'a incité à se consacrer à ce qu'on appelle les choses de l'esprit. Mais la vie pratique ne conditionne pas seulement sa propre existence, elle est le fondement du monde que son travail consiste à critiquer. S'il ne sait rien de la base, il table sur du vide. Il se trouve contraint de choisir entre s'informer ou tourner le dos à ce qu'il déteste. S'il s'informe, il se fait violence, pense à l'encontre de ses impulsions et risque, de plus, de tomber aussi bas que ce dont il s'occupe, car l'économie n'est pas une plaisanterie et si l'on veut la comprendre il faut "penser en économiste". S'il évite d'avoir affaire à elle, il hypostasie son esprit pourtant formé au contact de la réalité économique et à celui de la relation abstraite de l'échange, il en fait un absolu alors qu'il n...

Entrez sans frapper !

   La technicisation a rendu précis et frustes les gestes que nous faisons, et du même coup aussi les hommes. Elle retire aux gestes toute hésitation, toute circonspection et tout raffinement. Elle les plie aux exigences intransigeantes, et pour ainsi dire privées d'histoire, qui sont celles des choses. C'est ainsi qu'on a désappris à fermer une porte doucement et sans bruit, tout en la fermant bien. Celles des voitures et des frigidaires, il faut les claquer ; d'autres ont tendance à se refermer toutes seules, automatiquement, invitant ainsi celui qui vient d'entrer au sans-gêne, le dispensant de regarder derrière lui et de respecter l'intérieur qui l'accueille. On ne rend pas justice à l'homme moderne si l'on n'est pas conscient de tout ce que ne cessent de lui infliger, jusque dans ses innervations les plus profondes, les choses qui l'entourent. Qu'est-ce que cela signifie pour le sujet, le fait qu'il n'y ait plus de fenêtres à...

Débarcadère de l'enfer

  Les lourdes portes de la cale s'ouvrirent au-dessus de nos têtes et nous montâmes lentement sur le pont, en file indienne, par une échelle métallique étroite. Des soldats d'escorte étaient déployés contre la rambarde de la poupe en rangs serrés, le fusil pointé sur nous. Mais personne ne leur prêtait attention. Quelqu'un criait : "Plus vite ! plus vite !" La foule se bousculait comme sur n'importe quel quai de gare, quand on monte dans le train. On ne montrait le chemin qu'aux hommes de tête : longer les fusils jusqu'à une large passerelle, descendre dans un chaland et, de là, gagner la terre ferme en escaladant une autre passerelle. Notre voyage avait pris fin. Notre bateau avait amené douze mille hommes et, pendant qu'on les débarquait tous, nous avions le temps de jeter un coup d’œil. Après les chaudes journées de Vladivostok, ensoleillées comme toujours en automne, après les couleurs très pures du ciel de l'Extrême-Orient au couchant, imm...

Le Récit

  Le Récit est constitué d'un récit, intitulé par Chalamov « La première dent » et qui se révèle être un dialogue (ou un intense questionnement) sur la possibilité, sur la raison d'être, sur le contenu et sur l'art du récit. Il se place pour moi, au même niveau que Claude Simon. La première dent Le convoi de prisonniers était comme dans les rêves qui m'avaient hanté pendant mes années d'enfance. Des visages noircis et des lèvres bleues, brûlées par la soleil d'avril de l'Oural. Des gardes géants sautent sur les chariots en pleine course, les chariots s'envolent ; un garde borgne, le soldat de tête, a une cicatrice d'arme blanche en travers du visage ; le chef de l'escorte a des yeux bleus vifs. Dès la première demi-journée de transfert, nous connaissons son nom : Chtcherbakov. Les prisonniers – et nous étions près de deux cents — connaissaient déjà le nom du chef. Ce quasi-miracle me déroutait, je ne parvenais pas à l'expliquer. Les prisonnie...

Les yeux bleus

 C'est le début d'un récit de Varlam Chalamov.  Ce début, je l'appelle "Les yeux bleus", d'ailleurs, ce sont ses premiers mots. J'aurais pu l'appeler "Où va l'enfance se réfugier ", car si l'on regarde attentivement ce qui se déroule en cet homme, jusqu'au grillage de la fenêtre au pied de laquelle il s'anéantit, c'est ce drame qui se joue. Ou peut-être l'aurais-je appelé "Leçon de lecture", car le récit est comme un visage, c'est lui qui nous apprend comment le lire. L'enfance, l'écoute, la lecture sont proches compagnons qui ne veulent pas se séparer. Là n'est pas tout ce que dit le récit. Et beaucoup de choses encore entrent et sortent par les récits de Chalamov. C'est une écriture qui est parvenue à rester ouverte.   Les yeux bleus pâlissent. Au fil des ans, les yeux couleur bleuet de l'enfance prennent une teinte bleu-gris, sale et trouble de vivoteur médiocre, ou deviennent les t...