Je traînais le nez sur mon assiette, je n'avais pas très bon appétit. Mais il fallait manger ! maman me stimulait souvent... c'était les années d'après-guerre... "Mange, tu sais pas qui te mangera !" disait-elle. Cette expression me faisait dresser l'oreille, m'amusait, m'inquiétait, m'étonnait surtout venant de la bouche de ma mère, une femme polie et délicate. Peut-être cela me donnait-il un petit élan conquérant, je crois, pour entrer dans le jeu un instant, le temps d'une bouchée. Cette étrangeté de l'expression m'est toujours restée, même après avoir vécu, compris ou imaginé les détours de la question à la faveur des contes — d'ogres et d'ogresses —, en avoir moi-même écrits, interprétés, avoir fouillé parmi la littérature, les mythologies, l'anthropologie, pour bien me baigner dans ce mystère réjouissant, dans cette mer lourde et profonde, fraîche de vie où se renouvelle chaque jour mon plaisir et mon étonnement. J...
J'oublie Gaza la Tchétchénie Guantanamo. J'oublie les écoles incendiées et les enfants brûlés vifs les parents aux yeux éteints - d'où toute lumière a soudain disparu. J'oublie les enfants bourrés de résidus chimiques ceux qui à chaque instant frappent à la frontière d'une vie inconnue. Mais personne ne leur ouvre. J'oublie le fanatisme des matchs de football l'éternelle bousculade les braillements des spectateurs qui veulent leur mamelle. J'oublie ceux qui luttent pour davantage de vacances davantage de temps sans les autres. J'oublie qu'une cuite est déjà un petit séjour à la clinique de désintoxication (aussi nommée la Cale sèche). J'oublie les milliers d'antennes de télé plantées partout espèce d'extincteurs qui crachent des images de rêve jusqu'à ce que les rêves explosent dans toutes les têtes. J'ai déjà mentionné les politiciens mais j'oubliais de dire qu'ils font partie de la bêtise du cynisme de l'étroit...