C'est le début d'un récit de Varlam Chalamov. Ce début, je l'appelle "Les yeux bleus", d'ailleurs, ce sont ses premiers mots. J'aurais pu l'appeler "Où va l'enfance se réfugier ", car si l'on regarde attentivement ce qui se déroule en cet homme, jusqu'au grillage de la fenêtre au pied de laquelle il s'anéantit, c'est ce drame qui se joue. Ou peut-être l'aurais-je appelé "Leçon de lecture", car le récit est comme un visage, c'est lui qui nous apprend comment le lire. L'enfance, l'écoute, la lecture sont proches compagnons qui ne veulent pas se séparer. Là n'est pas tout ce que dit le récit. Et beaucoup de choses encore entrent et sortent par les récits de Chalamov. C'est une écriture qui est parvenue à rester ouverte. Les yeux bleus pâlissent. Au fil des ans, les yeux couleur bleuet de l'enfance prennent une teinte bleu-gris, sale et trouble de vivoteur médiocre, ou deviennent les t...
Dessiner mon père Il est tôt le matin et la maisonnée dort encore. Dehors le ciel est dégagé et je vois des montagnes qui se réchauffent aux rayons du soleil. Ici dans la vallée il gèle encore, une tardive gelée printanière qui donne peu de chances aux fragiles fleurs des arbres fruitiers. Sûrement très peu de prunes ou de poires cette année, les pommes seront peut-être épargnées car les pommiers ne sont pas encore pleinement en fleur. Dessiner mon père dans son cercueil : suis-je capable de juxtaposer des mots au souvenir de cette expérience ? Le dessin est une activité muette. Ou plutôt, le lieu auquel il nous conduit se situe au-delà de tout langage verbal. Là où le temps s’inverse, comme s’il se trouvait du côté des morts. Mon père avait dessiné ses deux parents après leur mort. De son père Stanley il a fait un portrait simple, au graphite léger, sur une feuille de papier à lettres. C’est un profil de trois-quarts, en fermant les yeux je peux le visualiser assez précis...