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La pluie ébahie


C'est le charme et le délice qui tombent avec la pluie de Maurice Denis. Celle de Mia Couto, à la première page de son roman La pluie ébahie, retient ses charmes et ses délices. Des nombreuses pluies qui affluent dans ma mémoire depuis tant de livres aimés, celle du petit Marcel qui tombait sur le jardin de Combray et faisait accourir Françoise pour rentrer précipitamment les précieux fauteuils d'osier, celle du balcon en forêt, celle de la Loire-Inférieure, compagne fidèle des expéditions en 2 CV, et même celle des mots subitement dégelés qui tombaient sur le tillac, bref, des si nombreuses pluies à vouloir s'abattre à présent ou se glisser dans mes lignes, de celle qui aujourd'hui même m'a mouillé le corps et les yeux... je ne suis pas rassasié, il faut que je relise et récrive ici sous vos yeux celle de Mia Couto.

 Ce jour-là mon père est rentré à la maison complètement trempé. Il pleuvait ? Non, notre toit en zinc nous aurait avertis. La pluie, même très fine, aurait tinté comme de petites aiguilles perforant le silence.
— Tu es tombé dans le fleuve, mari ?
— Non, c’est cette pluie qui m’a trempé.
— Pluie ?
On jeta un œil par la fenêtre : c’était une pluie mince en suspens, flottant entre ciel et terre. Légère, ébahie, aérienne. Mes parents appelèrent ça un « pluviotis ». Et ils rient, amusés par le mot. Jusqu’à ce que le bras de grand-père se dresse :
— Ne riez pas si fort, la pluie est en train de dormir…
Toute le journée, le pluviotis persista comme une bruine somnolente et épaisse. Les gouttes ne s’abattaient pas, pas la moindre brise ne soufflait. Les voisins échangèrent des visites, les hommes en finirent avec leurs conversations dans les cours, les femmes se cloîtrèrent. Nul ne se souvenait d’un pareil événement. On souffrait peut-être d’une malédiction.
Qu’il y eût une chute pour cette pluie : nous l’attendions ardemment. Dans cette attente, je m’amusais à regarder les milliers d’arcs-en-ciel qui luisotaient tout autour. Jamais aucun ciel ne s’était multiplié en autant de couleurs. La pluie est une femme, disait ma mère. L’une de ces veuves à la superbe retenue : elle possède une robe de sept couleurs mais ne la porte que les jours où elle sort avec le Soleil.
L’indécision de la pluie n’était pas un motif de joie. Malgré tout j’inventai une facétie : mes parents m’avaient toujours traité d’ébahi. Ils disaient que j’étais lent pour agir, attardé pour penser. Je n’avais pas vocation à faire quoi que ce soit. Peut-être n’avais-je même pas vocation à être. Eh bien la pluie était là, clamée et réclamée par tous et finalement aussi ébaubie que moi. Enfin, j’avais une sœur tellement maladroite qu’elle ne savait même pas tomber.

(Mia Couto, La pluie ébahie) 

Peinture de Maurice Denis

https://butinrenethibaud.blogspot.com/search/label/Mia%20Couto

 

 

 

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