Mia Couto est un célèbre écrivain du Mozambique. Il écrit sur l'eau comme personne — toutes les sortes d'eau : le fleuve, la mer, la pluie — sur l'eau et sur les yeux. Un de mes livres préférés est "La pluie ébahie". Ne faut-il pas à la pluie quelque parenté avec le regard, pour être ébahie ?...
Dans un autre livre de Mia Couto ("Les sables de l'empereur") habite un personnage, Dabondi, une femme africaine qui semble avoir un étrange savoir, et d'étranges pouvoirs. Elle laisse échapper de façon inattendue, d'un chapitre à l'autre, des récits, des légendes qui nous font entrevoir, peu à peu, d'étonnantes profondeurs. Je m'en suis fait l'écho déjà dans butin (Parole de Dabondi). Voici deux autres de ses récits:
exergue du chapitre 14
En traversant une forêt un homme fut attaqué par des voleurs. Ils le frappèrent, le déshabillèrent, lui arrachèrent les yeux et l'attachèrent à un arbre. Au milieu de la nuit, les yeux du malheureux se mirent à grimper sur ses jambes. Ils voulaient regagner son visage. L'homme sentit les yeux escalader son corps et les pria de le laisser tranquille. S'il vous plaît, ne revenez pas, implora-t-il. Je ne veux plus me voir, je ne veux plus jamais voir le monde.
Au terme de cette supplique il entendit le grognement d'animaux qui s'approchaient. En quelques secondes il fut dévoré. Et il ne lui resta même pas les os. Des cordes enserrant le tronc, ce fut tout ce qui resta. N'ayant plus de corps où habiter, les yeux restèrent à errer dans les bois. C'est avec ces yeux que les voyageurs de la forêt voient leurs propres rêves. Récit de Dabondi
exergue du chapitre 16
Au commencement du temps,
il n'y avait qu'un village et un puits.
À cela se résumait le monde :
un village et un puits.
Une fois, en remplissant sa cruche,
l'homme laissa choir ses yeux dans le puits.
Il plongea ses bras aveugles dans le noir
et compris que le puits n'avait pas de parois.
Et l'homme sentit
qu'il était appelé par les eaux sans fond.
Quand il retrouva ses yeux
était née la mer.
Légende racontée par Dabondi
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