Comme
de coutume et de concert, j'arrive, nous arrivons, vous arrivez et
aujourd'hui, il est question d'accord perdu. Accord perdu au père.
Accord dû au père. Bon. Bien. Très bien. Alors parlons-en.
On
distribue le papier, on le pèse, il y a bombance, ça va être du lourd,
il y a double ration. Puis on cherche des stylos, des noirs, des variés,
des rigolos. Non, excusez-moi, je n'aime que le mien. Puis vous nous
racontez une histoire, une histoire pour s'évader, une histoire pour
lacher, une histoire à écouter, une histoire à habiter, une histoire à
tiroirs, une histoire rocambolesque, une histoire interminable.
Je pourrais peut-être écrire pendant ce temps. En attendant que l'histoire longue soit terminée.
Une histoire avec des rebondissements. C'est l'histoire longue d'une jeune fille, il y a un roi.
Il
conviendrait bien d'attendre la fin d'un chapitre pour commencer à
écrire. Ai-je voix au chapitre ? Ai-je le droit d'interrompre ainsi mon
écoute? Ce n'est pas poli. Elle est intéressante votre histoire mais
dans la vie, il faut savoir ce qu'on veut. Si on est venu pour écrire,
il faut écrire à corps perdu, il ne faut pas se laisser distraire, il
faut suivre son chemin. Sinon, ce n'est pas la peine de dire qu'on est
venu pour écrire, qu'on aime écrire; c'est qu'on n'ose pas réellement
avoir envie d'écrire.
Le
roi a marié sa fille à un homme qui la bat. Quand il aura fini de la
battre, c'est interminable, je pourrai écrire, je commencerai à écrire.
Demain je fais un régime. Alors, comme aujourd'hui, il y a plein de
papier, c'est bombance, il y a pléthore de stylos et qu'il convient
d'écrire à corps perdu je ne perds plus de temps je ne perds
pas le fil je n'attends pas la fin de l'histoire longue je
lache le fil je n'écoute plus je file je ne prête plus le
flanc à des distractions leurres j'écris à cor et à cri
j'écris je ris je ris j'écris à corps perdu je
n'attends pas le bon moment c'est maintenant demain j'écris
quand l'histoire est finie j'écris quand je serai morte
j'écris quand mon corps sera perdu j'écris sans attendre
sans partage sans partenaire à cœur perdu éperdument
dûment mené laisse ça vient venir la jeune fille
battue pleure ou rit ou alors c'est une autre jeune fille
médium le corps support de la plume qui court n'a plus de
corps il est perdu le feu brûle l'histoire picaresque
continue interminablement j'écris
Cet
arrêt brutal ? Eh bien ? Vous ne racontez plus ? Vous n'avez plus le
goût ? Vous ne me dérangiez pas, vous savez ! Vous ne me détourniez pas !
Elle était bien votre histoire ! La jeune fille qui tousse son arête
dans la gorge qui l'empêchait ! Si, si, c'est bien! Et le Roi, il n'est
plus dans l'histoire, le Roi? Moi, j'écrivais, je divaguais et
maintenant avec tout ce silence... je suis bien obligée de voir...
obligée d'admettre que... j'écris... que... je ne peux plus écrire. Mon
corps me retient, je l'avais égaré mais il était dans la salle des pas
perdus, il m'attendait, tranquille. Je ne sais plus que dire. Que
dois-je faire ? Que dois-je dire ?
Vous disiez ? Votre histoire ? C'est comment la fin ?
Catherine Menant
sculpture Bernar Venet
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