Des semaines qu'Anna avance dans la maison et visite tout de fond en comble. Ce matin seulement, elle accepte que Pauline lâche son doigt. Alors elle glisse, prudente, un pied, puis l'autre... Elle s'arrête. Elle regarde Pauline gravement, juste quelques secondes. Juste le temps que Pauline ait envie de pleurer, doucement, c'est elle qui est orpheline maintenant, elle a perdu son enfant. Elle pense : "Va ! Va seule ! Va loin ! Tu as de la route à faire. Des plaines et des fleuves et des montagnes sur ton chemin, qu'il te faut franchir seule. Va loin ! Va vite ! De l'autre côté de la montagne, tu verras, le soleil décline. Va ! Va sans moi ! Et n'oublie pas, n'oublie jamais, c'est moi qui t'ai fait cela. Je t'ai ordonné de partir. Je t'ai contrainte. Je t'ai laissée. La mort, tu l'affronteras sans moi. Tu es seule maintenant. Tu es toujours seule désormais. Tu es comme moi. Et nous ne serons plus jamais jointes. Souviens-toi. Souviens-toi."
Souviens-toi, enfant.
Martine Magris, extrait de son premier roman "Anna ou la première œuvre", Gaspard Nocturne, 2003
Peinture d'Aline Coton
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