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Une parenthèse

ainsi la fleur pompe et vous avez peut-être raison de lier la grâce la couleur les dentelles des pétales
aux limbes aux ordures aux corruptions du sous-sol
après tout c'est bon sens ; le botaniste n'est pas là pour embellir – direz-vous
il n'est pas un artiste encore moins un moraliste
il observe, examine, recense, classe, décrit de la façon la plus neutre, sans rien ajouter de ses humeurs, de ses passions, de ses abois qui biaise trouble gauchisse l'analyse
il s'efface
il disparaît – la douce fosse

sans doute est-ce la raison pour laquelle pas une seule fois dans cet herbier ne figure votre nom
vous vous êtes retiré, soustrait complètement
radicalement vous avez renoncé à ce cancer du Moi je ; Moi je bouffe, je baise, je pousse tout ce qui me porte ombrage Moi je suis la loi le monde le moment le monument Moi j'y suis j'y reste qui m'aime me suive
la plante s'en contrefout
la fleur s'en fiche des Eglises des Réformes et des Contre-Réformes, la fleur bonne mère
console un peu
elle apaise, le temps qu'elle met à pousser tant bien que mal ses petits membres
une parenthèse
une trêve

Isabelle Pouchin, extrait de L'amour profane de Basilius Besler, Gaspard Nocturne, 2011
dessin de Basilius Besler (1561-1629)

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