Il ne lisait rien, même pas un journal, regardait d'un oeil froid, parfaitement indifférent, lorsque l'une des vieilles femmes lui tendait celui du jour, les titres annonçant des bombardements, des batailles d'avions ou des torpillages de navires, parcourait les nouvelles des villages de la région, la chronique sportive, le tout en pas beaucoup plus de cinq minutes, repliait le journal et le posait sur la table. Un jour il acheta cependant un carton à dessin, du papier, deux pinces et, au cours de ses promenades, il s'asseyait quelque part et entreprenait de dessiner, copier avec le plus d'exactitude possible, les feuilles d'un rameau, un roseau, une touffe d'herbe, des cailloux, ne négligeant aucun détail, aucune nervure, aucune dentelure, aucune strie, aucune cassure. Les feuilles encore accrochées aux sarments des vignes étaient d'une intense couleur pourpre, parfois roses, parfois vertes encore, du moins le long des nervures. Une pourriture jaune ou brune en attaquait les bords ou parfois l'intérieur, y creusant des trous. Il dessina aussi les feuilles en forme d'étoiles des platanes aux troncs blancs et ocellés. Tombées à terre et brunies elles aussi, elles prenaient une consistance de carton, emportées par centaines sur le sol par les rafales de vent, affolées, sautillant d'une pointe sur l'autre, allant s'amasser contre quelque murette ou quelque fossé. Peu à peu il ne resta plus de vert dans la campagne que les haies de cyprès et les lauriers aux feuilles sombres dont les bords ondulaient comme des flammes. Un jour de grand vent, il prit le vieux tramway jusqu'à la plage [...]
Les innombrables arbres qu'elle a vus au cours de sa vie, les vagues de forêts recouvrant le monde comme un océan sans pitié l'enveloppent dans sa fatigue et s'enflamment. Les villes, les villages et les routes remontent en surface comme des îles, petites ou grandes, comme des ponts, mais sont repoussés par ces houles brûlantes qui les emportent doucement vers une destination inconnue. Elle ne comprend pas ce que signifient ces coulées. Ni ce que voulaient lui dire les arbres qu'elle a vus, cette aube-là, au bout du sentier de la colline, se dressant dans la pénombre comme des flammes bleues. Il ne s'agissait pas de mots de tendresse, de consolation ou de soutien. Ce n'était pas non plus l'encourager et l'aider à se relever. C'était au contraire les paroles d'êtres cruels, hostiles au point d'être effrayants. Elle avait eu beau regarder autour d'elle, elle n'en avait pas trouver un seul qui voulût bien recueillir sa vie. Aucun d...
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