Il ne lisait rien, même pas un journal, regardait d'un oeil froid, parfaitement indifférent, lorsque l'une des vieilles femmes lui tendait celui du jour, les titres annonçant des bombardements, des batailles d'avions ou des torpillages de navires, parcourait les nouvelles des villages de la région, la chronique sportive, le tout en pas beaucoup plus de cinq minutes, repliait le journal et le posait sur la table. Un jour il acheta cependant un carton à dessin, du papier, deux pinces et, au cours de ses promenades, il s'asseyait quelque part et entreprenait de dessiner, copier avec le plus d'exactitude possible, les feuilles d'un rameau, un roseau, une touffe d'herbe, des cailloux, ne négligeant aucun détail, aucune nervure, aucune dentelure, aucune strie, aucune cassure. Les feuilles encore accrochées aux sarments des vignes étaient d'une intense couleur pourpre, parfois roses, parfois vertes encore, du moins le long des nervures. Une pourriture jaune ou brune en attaquait les bords ou parfois l'intérieur, y creusant des trous. Il dessina aussi les feuilles en forme d'étoiles des platanes aux troncs blancs et ocellés. Tombées à terre et brunies elles aussi, elles prenaient une consistance de carton, emportées par centaines sur le sol par les rafales de vent, affolées, sautillant d'une pointe sur l'autre, allant s'amasser contre quelque murette ou quelque fossé. Peu à peu il ne resta plus de vert dans la campagne que les haies de cyprès et les lauriers aux feuilles sombres dont les bords ondulaient comme des flammes. Un jour de grand vent, il prit le vieux tramway jusqu'à la plage [...]
A la sortie de la seconde guerre mondiale, Adorno, en observateur perçant de la société capitaliste technicisée qui se développe à grande vitesse, me semble souvent avoir vu ce qu'allait devenir notre monde de 2025. Il nous pose une quantité de bonnes questions. Ici, dirai-je, dans cet aphorisme titré non sans humour "Q.I.", la question suivante : Pensez-vous penser ? Les comportements adaptés au stade le plus avancé du développement technique ne se limitent pas aux secteurs où ils sont effectivement requis. C'est ainsi que la pensée ne se soumet pas seulement au contrôle social là où il est imposé professionnellement, mais adapte l'ensemble de sa complexion à ce contrôle. Du fait que la pensée se pervertit en résolvant les tâches qui lui sont assignées, elle traite même ce qui ne lui a pas été assigné suivant le schéma de ces tâches. La pensée qui a perdu son autonomie ne se risque plus à saisir le réel pour lui-même et en toute liberté. Pleine d'illusions ...

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