Dans les crépuscules vaporeux et roux de l'automne, un faible vent étirait en longues traînées bleutées les fumées des feux odorants où brûlaient les feuilles mortes. Les vignes achevaient de se dépouiller, laissant de nouveau apparaître la terre, entrecroisant leurs sarments nus d'un brun orangé. Les routes étaient désertes. Il n'y passait que de rares camions dont on pouvait entendre de loin le bruit croître puis décroître dans le silence. Tout était paisible, intact, inchangé. Il se couchait tôt : ou bien il s'endormait tout de suite ou bien, si le sommeil tardait trop, il se levait, s'habillait, sortait silencieusement et retournait au bordel. Si la fille rousse était prise, il attendait paisiblement en fumant des cigarettes ou échangeait quelques mots avec l'une ou l'autre des femmes dans le diminutif de vocabulaire dont elles disposaient (le même dont il usait depuis quatorze mois avec les cavaliers de son escadron ou les prisonniers dans la baraque), assis devant l'habituel verre de bière dont la mousse débordait, glissait lentement, sans que jamais il y touche. Un soir il entra dans un cinéma d'où il ressortit dix minutes plus tard.
Le Récit est constitué d'un récit, intitulé par Chalamov « La première dent » et qui se révèle être un dialogue (ou un intense questionnement) sur la possibilité, sur la raison d'être, sur le contenu et sur l'art du récit. Il se place pour moi, au même niveau que Claude Simon. La première dent Le convoi de prisonniers était comme dans les rêves qui m'avaient hanté pendant mes années d'enfance. Des visages noircis et des lèvres bleues, brûlées par la soleil d'avril de l'Oural. Des gardes géants sautent sur les chariots en pleine course, les chariots s'envolent ; un garde borgne, le soldat de tête, a une cicatrice d'arme blanche en travers du visage ; le chef de l'escorte a des yeux bleus vifs. Dès la première demi-journée de transfert, nous connaissons son nom : Chtcherbakov. Les prisonniers – et nous étions près de deux cents — connaissaient déjà le nom du chef. Ce quasi-miracle me déroutait, je ne parvenais pas à l'expliquer. Les prisonnie...
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