Dans les crépuscules vaporeux et roux de l'automne, un faible vent étirait en longues traînées bleutées les fumées des feux odorants où brûlaient les feuilles mortes. Les vignes achevaient de se dépouiller, laissant de nouveau apparaître la terre, entrecroisant leurs sarments nus d'un brun orangé. Les routes étaient désertes. Il n'y passait que de rares camions dont on pouvait entendre de loin le bruit croître puis décroître dans le silence. Tout était paisible, intact, inchangé. Il se couchait tôt : ou bien il s'endormait tout de suite ou bien, si le sommeil tardait trop, il se levait, s'habillait, sortait silencieusement et retournait au bordel. Si la fille rousse était prise, il attendait paisiblement en fumant des cigarettes ou échangeait quelques mots avec l'une ou l'autre des femmes dans le diminutif de vocabulaire dont elles disposaient (le même dont il usait depuis quatorze mois avec les cavaliers de son escadron ou les prisonniers dans la baraque), assis devant l'habituel verre de bière dont la mousse débordait, glissait lentement, sans que jamais il y touche. Un soir il entra dans un cinéma d'où il ressortit dix minutes plus tard.
A la sortie de la seconde guerre mondiale, Adorno, en observateur perçant de la société capitaliste technicisée qui se développe à grande vitesse, me semble souvent avoir vu ce qu'allait devenir notre monde de 2025. Il nous pose une quantité de bonnes questions. Ici, dirai-je, dans cet aphorisme titré non sans humour "Q.I.", la question suivante : Pensez-vous penser ? Les comportements adaptés au stade le plus avancé du développement technique ne se limitent pas aux secteurs où ils sont effectivement requis. C'est ainsi que la pensée ne se soumet pas seulement au contrôle social là où il est imposé professionnellement, mais adapte l'ensemble de sa complexion à ce contrôle. Du fait que la pensée se pervertit en résolvant les tâches qui lui sont assignées, elle traite même ce qui ne lui a pas été assigné suivant le schéma de ces tâches. La pensée qui a perdu son autonomie ne se risque plus à saisir le réel pour lui-même et en toute liberté. Pleine d'illusions ...

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