Je marchais et ce mot m’est re-venu, comme re-monté de la terre : marcottage. D’où le rencontrais-je donc ? Vague image de mon grand-père paysan mettant en terre une branche repliée en arceau à partir de la base d’un figuier. Me rejoignait-il de plus loin encore ? D’ancêtres lointains, vraisemblablement serfs comme semblent l’indiquer le patronyme maternel et la généalogie ?
Selon le « De agri cultura » de Caton l’Ancien, diverses méthodes de marcottage permettent la multiplication des racines d’une plante, généralement selon une technique rhizomique. Mais il existe aussi le marcottage aérien, celui justement que j’allais effectuer sur mon orchidée préférée dont une hampe avait refleuri à profusion et dont une autre avait produit un keiki (bébé, rejeton en hawaïen), c'est-à-dire un buisson de feuilles qui commençait à mettre des racines. J’allais devoir séparer le keiki de la plante, le placer dans de la sphaigne bien humidifiée protégée par un manchon ; la marcotte ainsi constituée serait un espace transitionnel d’environ deux mois avant un rempotage dans une verrine où les racines pourraient recevoir la lumière…
J’anticipais tout en marchant et réalisai alors que je marcottais aussi des textes. Je me demandai combien de keikis j’avais transformés en marcottes, les prélevant à partir d’écrits multiples et les laissant décanter en moi, jusqu’à ce que, suffisamment mûris, ils soient devenus mon tissu intime, chemin brodé de mots, chemin de table où me nourrir, chemin de vie où me désoler, me réjouir, penser et croiser un (e) autre à mi chemin ami, cet autre de la conversation intime en soi ou dialoguée dans l’échange. Sans doute ne cesserais-je pas de marcotter et, écrire, n’est-ce pas, du reste, être otage de la trace, de la marque ? Je ressens profondément la joie du marcottage comme antidote aux excès de ce qui se donne, en notre actualité, dans une accélération temporelle, pour authenticité du partage et de la communication… et l’on peut croire que des vessies sont lanternes, expérience édifiante quand la réflexion permet de reconnaître le leurre, l’erreur dont, par désir d’y croire, on se sera fait, un temps, complice. Mais, dans le temps long, comme avec le marcottage, impossible de tricher : le temps long dit la vérité et la perte éventuelle est une autre sorte de gain, celui du vide et du silence.
Je poursuivais mon cheminement tandis que la terre que je foulais exhalait des senteurs humides et que les cyclamens sauvages hissaient au-dessus du sol leurs infimes et délicates fleurs aux teintes parme nacré. Quelques traces de sabots creusaient le chemin ça et là. Le cerf et les biches étaient passés. Les arbres accompagnaient mes images et mes pensées de leur murmure, de leurs oiseaux jacassant à l’envi, me rappelant, autre sorte de marcottage, les versions latines de mon adolescence, à partir des « Géorgiques » quand Virgile évoque les chênes dédiés à la déesse au sanctuaire de Dodonne où les prêtresses devaient interpréter le bruissement du feuillage. Le mot « mergus » qui signifie plongeon, désignant un vol d’oiseau s’est ensuite associé dans le texte « de arboribus » de l’agronome Columella sous Tibère au quatrième siècle, à l’image de l’enfoncement ; il a pris alors le sens de marcotte. Traduction, musique et évolution d’un mot, autres formes du marcottage : notre humanité tient de la nature ; elle est dans nos antécédents et je m’en suis étymologisée.
Noëlle Combet, Marcottage, http://noellecombet.blogspot.fr/2017/01/marcottage.html
photo r.t, à Monika
Selon le « De agri cultura » de Caton l’Ancien, diverses méthodes de marcottage permettent la multiplication des racines d’une plante, généralement selon une technique rhizomique. Mais il existe aussi le marcottage aérien, celui justement que j’allais effectuer sur mon orchidée préférée dont une hampe avait refleuri à profusion et dont une autre avait produit un keiki (bébé, rejeton en hawaïen), c'est-à-dire un buisson de feuilles qui commençait à mettre des racines. J’allais devoir séparer le keiki de la plante, le placer dans de la sphaigne bien humidifiée protégée par un manchon ; la marcotte ainsi constituée serait un espace transitionnel d’environ deux mois avant un rempotage dans une verrine où les racines pourraient recevoir la lumière…
J’anticipais tout en marchant et réalisai alors que je marcottais aussi des textes. Je me demandai combien de keikis j’avais transformés en marcottes, les prélevant à partir d’écrits multiples et les laissant décanter en moi, jusqu’à ce que, suffisamment mûris, ils soient devenus mon tissu intime, chemin brodé de mots, chemin de table où me nourrir, chemin de vie où me désoler, me réjouir, penser et croiser un (e) autre à mi chemin ami, cet autre de la conversation intime en soi ou dialoguée dans l’échange. Sans doute ne cesserais-je pas de marcotter et, écrire, n’est-ce pas, du reste, être otage de la trace, de la marque ? Je ressens profondément la joie du marcottage comme antidote aux excès de ce qui se donne, en notre actualité, dans une accélération temporelle, pour authenticité du partage et de la communication… et l’on peut croire que des vessies sont lanternes, expérience édifiante quand la réflexion permet de reconnaître le leurre, l’erreur dont, par désir d’y croire, on se sera fait, un temps, complice. Mais, dans le temps long, comme avec le marcottage, impossible de tricher : le temps long dit la vérité et la perte éventuelle est une autre sorte de gain, celui du vide et du silence.
Je poursuivais mon cheminement tandis que la terre que je foulais exhalait des senteurs humides et que les cyclamens sauvages hissaient au-dessus du sol leurs infimes et délicates fleurs aux teintes parme nacré. Quelques traces de sabots creusaient le chemin ça et là. Le cerf et les biches étaient passés. Les arbres accompagnaient mes images et mes pensées de leur murmure, de leurs oiseaux jacassant à l’envi, me rappelant, autre sorte de marcottage, les versions latines de mon adolescence, à partir des « Géorgiques » quand Virgile évoque les chênes dédiés à la déesse au sanctuaire de Dodonne où les prêtresses devaient interpréter le bruissement du feuillage. Le mot « mergus » qui signifie plongeon, désignant un vol d’oiseau s’est ensuite associé dans le texte « de arboribus » de l’agronome Columella sous Tibère au quatrième siècle, à l’image de l’enfoncement ; il a pris alors le sens de marcotte. Traduction, musique et évolution d’un mot, autres formes du marcottage : notre humanité tient de la nature ; elle est dans nos antécédents et je m’en suis étymologisée.
Noëlle Combet, Marcottage, http://noellecombet.blogspot.fr/2017/01/marcottage.html
photo r.t, à Monika
Merci René, pour ce partage, cheminement côte à côte, et pour cette photo qui dit la pleine et riche présence de la terre et sa diversité.
RépondreSupprimerMerci Noëlle pour ce texte merveilleux. La photo est dédiée à Monika http://gaspardnocturne.blogspot.fr/search/label/Demange%20Monika
RépondreSupprimerJe suis allée sur la page de Monika; ce qu'elle écrit est très beau, soyeux, et comme j'aime la langue allemande, j'en ai apprécié la publication bilingue.
RépondreSupprimer