Les innombrables arbres qu'elle a vus au cours de sa vie, les vagues de forêts recouvrant le monde comme un océan sans pitié l'enveloppent dans sa fatigue et s'enflamment. Les villes, les villages et les routes remontent en surface comme des îles, petites ou grandes, comme des ponts, mais sont repoussés par ces houles brûlantes qui les emportent doucement vers une destination inconnue.
Elle ne comprend pas ce que signifient ces coulées. Ni ce que voulaient lui dire les arbres qu'elle a vus, cette aube-là, au bout du sentier de la colline, se dressant dans la pénombre comme des flammes bleues.
Il ne s'agissait pas de mots de tendresse, de consolation ou de soutien. Ce n'était pas non plus l'encourager et l'aider à se relever. C'était au contraire les paroles d'êtres cruels, hostiles au point d'être effrayants. Elle avait eu beau regarder autour d'elle, elle n'en avait pas trouver un seul qui voulût bien recueillir sa vie. Aucun d'eux ne voulait d'elle. Ils étaient là, tels de gigantesques animaux, vigoureux et austères.
[La Végétarienne,
le livre d'un corps, le livre des corps, le livre du temps et de ses non-dits, le livre du monde du dedans, de celui du dehors]
Elle inspire en silence. Elle scrute les flammes des arbres sur le bord de la route, des flammes vertes qui se dressent et ondulent comme autant de bêtes. Son regard est sombre, fixe, comme si elle en attendait une réponse ou, plutôt, comme si elle protestait contre quelque chose.
La Végétarienne, roman de Han Kang, prix Nobel 2024
Dessin de Van Gogh, 1884
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