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De ma fenêtre

C’était un après-midi d’août terriblement électrisé par des orages avortés, griffant le ciel de traînées menaçantes qui n’arrivaient pas à exploser. De ma fenêtre, du haut de mes treize étages, je voyais, à l’intersection des quatre chemins, une femme brune, habillée de couleurs d’été, montant péniblement la côte qui longe le parc désert à cette heure trop chaude. La femme était étrangère, et plus elle se rapprochait de ma vision, plus j’en concluais qu’elle était d’ailleurs ; son teint avait la couleur des mangues mûres et une longue natte de cheveux noirs bleutés battait ses reins à chacun de ses pas. Soudain, surgi d’on ne sait où, un groupe de cinq enfants apparut. Les plus grands fermaient cette marche joyeuse, les trois autres, armés de bâtons, provoquaient le ciel en faisant des signes sans doute codés, apostrophant les nuages, fendant les rayons du soleil revenu. Ce chant actif dans cet engourdissement de chaleur arrêta la femme qui déposa son lourd paquet à terre ; elle leva la main et fit de l’ombre à son regard. Non, ces braillards-là n’étaient pas à elle, mais elle resta un long moment à les observer avant de reprendre le chemin qui montait dur. Les innocents guerriers agitaient leur candeur, pourfendant de leurs bâtons, bien plus haut que les oiseaux, les nuages noirs qui zébraient ce ciel chaotique. Le parc était calme, vide, vert, je regardai la femme disparaître vers sa direction qui la conduisait à coup sûr vers d’autres enfants, une autre vie qui l’attendait... Et à ce moment précis, quelque chose qui ressemblait à un vertige m’envahit, une main ferme broyait mon cœur, faisait battre mes tempes d’un feu inconnu, et dans ce temps suspendu, de ma fenêtre, pour la première fois, je restai immobile, consciente que cela pouvait s’appeler solitude.

Michèle Laurier Césaire, extrait de Singala ou l'homme qui sait guérir, Gaspard Nocturne 2009
Franco Gentilini, Busto di ragazza, olio sabbiato su tela, cm 50x40

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