Le tramway porte, transporte, fait apparaître et traverse toutes sortes de paysages. Ici ce sont des spectres récurrents de personnages, des animaux victimisés encore, des scènes saisissantes qui sont les outils servant à l'écrivain à créer le texte à partir de sa mémoire revisitée.
Ce même et long visage d'Erinye en permanence empreint d'une expression d'outrage dont elle semblait ne jamais se départir, que ce fût pour soigner maman avec cette sorte de farouche tendresse ou (apparaissant dans la pénombre de la cuisine à la lueur changeante des flammes) lorsqu'elle contemplait les soubresauts de ces rats qu'elle brûlait vivants (ce qui, raconté par les enfants, lui fut sévèrement interdit — en dépit de quoi (mais sans témoins) elle continua sans doute de le faire), ou encore, toujours indignée et inflexible malgré nos pleurs et nos supplications lorsqu'elle tuait l'un après l'autre en les jetant avec violence contre le mur de la cour les chatons des incessantes portées de sa chatte, petites boules gluantes de poils sanguinolents qu'elle ramassait si elles bougeaient encore, lançait de nouveau contre le mur et allait jeter au pourrissoir, pêle-mêle dans un panier dont elle lavait ensuite le sang à grande eau.
Claude Simon, Le tramway
Chaïm Soutine, Le grand arbre bleu, 1942
Commentaires
Enregistrer un commentaire