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Écrire, dit-elle

Oserai-je vous dire comment j'écris, comment ça vient, comment je commence ? Après Marguerite Duras. Elle l'explique bien, elle. On comprend tout. Mais est-ce que ça vous intéresse, comment ça me vient, à moi ? Comme elle, je vais tenter de parler de ça parce que je désire savoir comment ça se passe pour moi.Et, aussi, je suis avide de savoir comment ça se passe pour vous, pour toi.– Un lieu. Bien chauffé. Silencieux ; je veux dire, avec personne pour m'embêter. Un endroit que j'aime bien.– Un point de départ. Ou un point d'arrivée. Une consigne. Une contrainte. Un thème. Une couleur. Un air. Une incitation. Un devoir. C'est peut-être l'école, le mémoire, le dossier de soins infirmier ou même l'atelier d'écriture. Il me faut une urgence.Pas vous ? Je crois pouvoir dire que je tire un fil. Un fil que j'aurais saisi au vol, ce point de départ, sans doute. Je tire, je titille, le fil se déroule tout seul, parfois s'emmêle. Enfin, peu à peu, bon gré mal gré, bon an mal an, ça écrit. Et je ne sais pas où je vais.Et vous-même, le savez-vous ? Il me semble que si je sais où je vais, alors ce n'est pas la peine, c'est du déjà connu, ça ne m'intéresse pas. Parler pour ne rien dire. Pour dire le déjà connu. Rhétorique. Sophisme. Brillante plaidoirie. Habile démonstration. Racontar. Fulgurance, au mieux. Si je ne sais pas où je vais, c'est que ce n'est pas moi qui conduit. C'est kiki conduit ma plume ? Ce doit être ma transcendance de moi. Oui, sûrement. Ma transcendance de moi écrit en passant par moi. Et vous, c'est aussi votre transcendance de vous qui écrit ? Le gribouillage remplit la page, les pages.
De temps en temps, je reviens en arrière, je déchiffre, je resserre, je requinque, je démêle, je comprends mieux, j'aide un peu, quoi ! Et puis je continue, j'écris. Je ne me juge pas. J'aurai bien le temps après, de trouver mes textes dérisoires, chaotiques, vains, bébêtes. Alors je continue, sans juger, tout est à sa place. Et puis, j'en sais rien, moi : Je vous dis que, une fois enclenché, ça fait quelque chose avec un démarrage, le gros du truc et puis c'est fini, voila.Et j'en sors soulagée, intéressée. Oui, ça m'intéresse les choses que j'ai écrites parce que c'est moi qui ai écrit ces choses inconnues de moi. C'est pour ça, parfois j'ai honte un peu. Je continue mais, par pitié, ne m'interrompez pas. Si vous profitez de mon grand âge pour me couper le fil, vous savez bien, je sais pas où je vais, alors, après, j'en profite pour vous accuser d'être un empêcheur de dire, un empêcheur d'écrire, un empêcheur de vivre. C'est de votre faute si j'écris pas. Et c'est bien pratique.Récapitulons : – Un lieu exprès pour. A ma seule convenance. – Un ordre drastique. Enfin, n'importe quoi, un mot suffira, l'important étant que je l'interprète comme un ordre. Donnez-moi une mission.Mais, chut ! un peu de silence ! Parfois, je ne suis pas satisfaite. Mais parfois, si. C'est important pour moi. J'ai pu écrire. Assouvissant, dit-elle. Et vous ? Et toi ?

Catherine Menant

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