il y avait toi sautant dans les feuilles jaunes, rousses
il y eut cette couleur bleu ardoise
des mares
il y avait le chat aux yeux filigranés ; il y avait le sang des roses
il y avait ta mère
pourquoi ne me suis-je pas satisfait de cela ?
pourquoi ai-je convoité une autre chose, une autre encore ?
je suis fatigué
je ne suis pas sûr de garder la maîtrise de ceci, de cela, de ceci encore
ce cahier n’est qu’une cendre
puis, je ne suis pas l’oncle de Chagall ; je suis incapable d’une telle prouesse
l’oncle, quand il était épuisé ou malade, il grimpait sur le toit de son isba et il jouait du violon, figure-toi
jusqu’à ce qu’il retrouve une assiette, une raison
faire le pitre pour s’en sortir
c’est pour cela que Chagall fait voler ses maisons ses vaches ses paysans; c’est pour cela que sa tour Eiffel se promène à dos d’âne, que la lune joue de la trompette
et les chats philosophent
l’oncle jouait des airs, de vieux airs juifs qu’il émaillait de fantaisies, bonnement
son archet lancé comme un vaisseau ; ah, fendre le vieil ennui, la vieille résignation, la vieille peau morte
ainsi durer, si âpre soit la pomme de la connaissance
pleurer, c’est dans un coin, en cachette, n’est-ce pas ?
tu me manques
Qu’est-ce que tu fais en ce moment ?
comment c’est l’Italie ? Du soleil, du soleil à en perdre le sens du tragique ?
Ta mère et moi, nous avions parfois songé à quitter la Normandie, pour nous établir dans le Sud, parce que nous ne supportions plus la pluie, la pluie toujours, la pluie lancine
puis le hasard, le train-train, la paresse, bref, nous n’avons pas bougé
je t’imagine sur des plateaux calcaires, hérissés de chênes rabougris, d’épineux ; le cinglement des guêpes
par là-dessus un ciel de pavés
le rouge des grenades, des pêches, aussi ?
le sifflet dévorant des cigales
tu ris parce que la réalité est tout autre !
tu ris
Isabelle Pouchin, Chagall ou la longue lettre au fils pp. 32-33
Ah !ce livre qui m’a tant plu : d’abord parce qu’il fait vivre Chagall, la peinture de Chagall, mais aussi parce qu’il raconte ce qui est un phantasme pour moi depuis toujours : vivre « par » et « pour » la peinture d’un grand maître…
RépondreSupprimerQuand le narrateur écrit à son fils qu’après la fermeture du Musée, ils avaient toutes les toiles pour eux seuls, j’ai été émue, parce que j’ai longtemps rêvé d’avoir une peinture pour moi seule, et l’adorer religieusement à l’abri du regard des autres… à genoux… en secret…
« quelque chose en eux désire / quelque chose se refait nid, même au plus fort de la souffrance »
« RESISTER, Julien, dire NON / tenir /s’obliger/ refuser d’abdiquer » sont les mots d'une actualité brûlante : la résistance des Ukrainiens force l’admiration (quelque chose en eux désire… liberté, même au plus fort de la souffrance).
« Au moins, si je pouvais me cacher dans ces tableaux… »
C’est exactement ce que je ressens lorsque je tombe en amour devant une toile… franchir le cadre du tableau, entrer dans la toile… le vertige !
« Je ne fais que passer / ma pauvreté, c’est ma richesse / comprends-tu, Julien ? / comprends-tu ? »
L’art est salvateur : quand on n’a plus rien, on a encore cela qui est l’Essentiel : la folie de ceux qui ont tout donné absolument… En Peinture, en Musique, en Poésie.
Répondre1 min
Merci Eva.
Supprimer