Berthe a quatre ans, Berthe n’est plus la petite plante fanée du début ; finalement assez solide
et vive
comme quoi
Berthe trotte derrière la mère ; une lieue jusqu’à Lisieux ; chaque samedi matin, elles vont sur le marché vendre un panier d’œufs, une canne de lait, une motte de beurre
le marché grouillant bêlant puant pissant, le marché où tournent depuis l’aube, sur des lits de braises de gras moutons parfumés au genièvre ; le marché où des futailles mousse un cidre
orange
et si vous en répandez sur la table, frottez-vous-en la tête, ça porte chance !
ce n’est pas que ça rapporte beaucoup le lait le beurre et les œufs ; le beurre c’est moins que l’huile pardi ; c’est quasi rien
mais le peu que ça paie, ça permet à la mère de rapporter du fil, des chandelles, du son pour les canards ; si ça se peut des galettes, si ça se peut du lard
Berthe trotte, ne lâche pas la pogne de la mère
chaude
le marché, après une heure de marche à travers la campagne gelée
la campagne craquant de toutes ses herbes blanches de tous ses cailloux blancs
même les oiseaux grincent
un froid à couper au couteau, Berthe se dépêche
voilà
le marché fume le marché mitonne, Berthe mange des yeux tout tout
le marché mijote
embaume, il y a des baquets de crème fraîche gros comme des armoires, il y a des fromages plus larges qu’une meule, il y a des chapelets de boudin de saucisses d’andouillettes qui rissolent dans les poêles il y a les tripes qui chuintent, l’omelette est troussée comme on parle
qui veut une bouchie de veau qui veut une bouchie de porc aux oignons
il y a des pains énormes roues, des couronnes farcies d’amandes du nougat des gâteaux enneigés de sucre, des galettes blondes des volants de
guimauve
il y a des bonbons verts jaunes enrubannés de ganses
bleu pâle, il y a des crêpes des gâteaux de Savoie des brioches glorieuses
Berthe ne sait plus quoi faire de ses yeux Berthe défaille Berthe saute de joie dans ses sabots cirés
Berthe a oublié le froid
il y a des chaudrons de soupe au lard qu’on verse sur des tranches de pain blanc
Berthe ne sait plus où donner du nez
la mère bougonne, la mère depuis le départ, la mère rumine parce qu’elles ont rencontré trois pies sur le chemin
que ça porte malheur nom de nom, mais ne les regarde pas comme ça, idiote !
et presse un peu, ça ne va pas se vendre tout seul
la mère radote radotera
faut tout vendre Berthe, tout, tu m’entends, je dois acheter un remède pour ton père
tu m’entends, fais pas ton oie comme l’autre fois, hein
Isabelle Pouchin, Le roman-poème de Berthe et Emma, Gaspard Nocturne, 2014
Auguste Renoir, Gabrielle lisant, 1906
et vive
comme quoi
Berthe trotte derrière la mère ; une lieue jusqu’à Lisieux ; chaque samedi matin, elles vont sur le marché vendre un panier d’œufs, une canne de lait, une motte de beurre
le marché grouillant bêlant puant pissant, le marché où tournent depuis l’aube, sur des lits de braises de gras moutons parfumés au genièvre ; le marché où des futailles mousse un cidre
orange
et si vous en répandez sur la table, frottez-vous-en la tête, ça porte chance !
ce n’est pas que ça rapporte beaucoup le lait le beurre et les œufs ; le beurre c’est moins que l’huile pardi ; c’est quasi rien
mais le peu que ça paie, ça permet à la mère de rapporter du fil, des chandelles, du son pour les canards ; si ça se peut des galettes, si ça se peut du lard
Berthe trotte, ne lâche pas la pogne de la mère
chaude
le marché, après une heure de marche à travers la campagne gelée
la campagne craquant de toutes ses herbes blanches de tous ses cailloux blancs
même les oiseaux grincent
un froid à couper au couteau, Berthe se dépêche
voilà
le marché fume le marché mitonne, Berthe mange des yeux tout tout
le marché mijote
embaume, il y a des baquets de crème fraîche gros comme des armoires, il y a des fromages plus larges qu’une meule, il y a des chapelets de boudin de saucisses d’andouillettes qui rissolent dans les poêles il y a les tripes qui chuintent, l’omelette est troussée comme on parle
qui veut une bouchie de veau qui veut une bouchie de porc aux oignons
il y a des pains énormes roues, des couronnes farcies d’amandes du nougat des gâteaux enneigés de sucre, des galettes blondes des volants de
guimauve
il y a des bonbons verts jaunes enrubannés de ganses
bleu pâle, il y a des crêpes des gâteaux de Savoie des brioches glorieuses
Berthe ne sait plus quoi faire de ses yeux Berthe défaille Berthe saute de joie dans ses sabots cirés
Berthe a oublié le froid
il y a des chaudrons de soupe au lard qu’on verse sur des tranches de pain blanc
Berthe ne sait plus où donner du nez
la mère bougonne, la mère depuis le départ, la mère rumine parce qu’elles ont rencontré trois pies sur le chemin
que ça porte malheur nom de nom, mais ne les regarde pas comme ça, idiote !
et presse un peu, ça ne va pas se vendre tout seul
la mère radote radotera
faut tout vendre Berthe, tout, tu m’entends, je dois acheter un remède pour ton père
tu m’entends, fais pas ton oie comme l’autre fois, hein
Isabelle Pouchin, Le roman-poème de Berthe et Emma, Gaspard Nocturne, 2014
Auguste Renoir, Gabrielle lisant, 1906
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