« Nous sommes arrivés ce samedi 16 mars sur la place de l’étoile, par le métro, à la montée des marches on sentait déjà les gaz alors qu’il était à peine 10h du matin... Je pense que tout était prévu pour que ça dégénère. Pour commencer à avoir l’habitude des manifestations sur Paris, des contrôles à répétition, des fouilles où on nous enlève tout, même du sérum phy, ce jour-là, jour annoncé comme LE jour, rien !
Aux alentours de 15h30, alors que nous voulions rejoindre le cortège que nous avions quitté avec mes amis pour aller manger, nous nous sommes fait arrêter par une brigade à moto avec quatre de mes amis. Alors que mes amis traversaient la rue, j’ai vu un motard mettre en route sa sirène et les montrer du doigt. Dès ce moment-là, j’ai compris qu’ils allaient se faire arrêter, j’ai couru pour les rejoindre et voir ce qu’il se passait. Une quinzaine de policier s’est rapprochée de nous, autant vous dire qu’on ne brillait pas, mais nous étions loin d’imaginer jusqu’où cela irait.
On a commencé par subir contrôle d’identité et fouille. Un de mes amis avait acheté des jeux à gratter le matin même et des paquets de cigarettes, qu’on nous accuse d’avoir volés. On annonce avec un sourire cynique à mon ami qu’il va plonger. Parmi ces policiers certains sont agressifs et nous provoquent. Par exemple, l’un d’entre eux casse des canettes qui se trouvaient à nos pieds et demande à son collègue « prends des photos là, regarde, ils ont cassé des canettes ». Outrée, je lui réponds « Non mais monsieur je viens de vous voir faire ! », le policier (masqué avec un bandana) descend son bandana et me rétorque violemment « Fais bien attention à ce que tu dis, toi, ne m’accuse de chose que je n’ai pas faite, c’est de la calomnie. Elle a de la gueule la petite mais tu vas vite la fermer ta grande gueule ! ». Un ami me dit de laisser faire. Je suis choquée.
Les policiers prennent nos pièces d’identité et remplissent leurs papiers, on attend, on ne sait pas trop ce qu’il va se passer, puis on nous attache les mains dans le dos avec des serre-flex en plastique et nous embarque un par un dans une camionnette.
Nous arrivons au poste, chacun notre tour on nous emmène pour nous faire un test d’alcoolémie. Quatre d’entre nous à 0 et un à un taux très faible. Une policière passe un coup de téléphone. Elle donne le taux d’alcoolémie de notre ami et demande s’il part en cellule de dégrisement. Nous n’entendons pas la réponse mais nous l’entendons demander « même en cas de gilet jaune ? » Cet argument a été décisif : cellule de dégrisement pour notre ami.
Y’aurait-il une justice spéciale « Gilets jaunes » ?
C’est maintenant à notre tour, on nous fait passer chacun une audition et nous annonce que nous allons être placés en garde à vue. On nous énonce nos droits en nous encourageant à y renoncer car nous serons certainement sortis avant ce soir. Nous suivons cette recommandation et nous renonçons à nos droits. Chacun notre tour, comme un examen de contrôle, on passe à la « fouille intégrale », marquage des empreintes, photos de face et de profil. J’ai l’impression d’être prise pour une grande criminelle.
Chacun est accompagné à sa cellule. Le sol de ma cellule trempé d’un liquide inconnu même si j’ai de fortes suppositions. On me demande alors de retirer mes chaussures, mais je refuse vu l’état du sol. On me met alors dans une autre cellule toute aussi répugnante mais sèche. Nous sommes dans une espèce de chenil avec des box dégueulasses... Mais dans ce chenil, nos cellules se touchent et même si on ne se voit pas, on s’entend. Ça n’a l’air de rien mais c’était rassurant. On pense encore sortir le soir-même et on crie que le premier qui sort de là attendra les autres dans le café le plus proche. Nous sommes encore persuadés qu’on ne restera en garde à vue que l’après-midi. C’est l’Officier de Police Judiciaire (OPJ) qui nous l’a dit. Plus tard, un policier arrive et nous propose à manger, je lui demande quelle heure il est, il est 20h00. Je lui demande pourquoi nous sommes toujours là et si nous allons passer la nuit en cellule. Il me répond qu’il y a de fortes chances vu que l’OPJ a fini sa journée. Je réalise alors qu’on s’est fait berner, on passera la nuit en GAV alors que nous avons renoncé à voir un avocat, ou à prévenir notre famille.
Dans ma cellule, je n’ai ni matelas ni couverture. Un bloc de mousse qu’il reste d’un matelas se trouve sur le toilette à la turque de la cellule. Quand j’ai besoin d’aller aux toilettes, j’appuie sur le bouton qui se trouve dans ma cellule mais il ne fonctionne pas. Je tape alors à la porte de ma cellule, une policière arrive en me demandant pourquoi je ne fais pas dans ma cellule. Je lui montre alors l’état d’insalubrité des toilettes avec le bloc de mousse dessus. Elle m’accompagne alors aux toilettes, manifestement à contre-cœur.
La nuit passe, je m’inquiète pour ma famille qui doit être morte de trouille de ne pas avoir de nouvelles.
Le lendemain matin, on nous amène le petit déjeuner, une brique d’une espèce de sirop d’orange et 2 petits beurres. Une OPJ vient me chercher pour mon audition, je craque, je ne sais pas ce que je fais encore ici et je me demande combien de temps cette GAV va encore durer. Je demande alors à prévenir ma famille et mon employeur, car je crains qu’on me garde encore et que je ne puisse pas être au travail lundi matin. Elle me rassure : « Non mais ne vous inquiétez pas, on n’a rien contre vous, vous serez relâchée avant 14h00 voire même avant midi si ça va vite. ». De retour à ma cellule, il est 9h00, plus que 5 heures voire 3 au meilleur des cas.
Quelques minutes plus tard, une policière arrive, non pas pour que je sorte mais pour me changer de cellule. Pourquoi ? Elle me répond que je serai plus proche du poste. Comme s’ils voulaient veiller sur moi. On traverse le chenil, mes amis me voient passer et me demandent où je vais, je leur réponds que l’on me change de cellule sans trop savoir à quoi m’attendre. Au bout du couloir où elle m’emmène, une seule cellule, sans toilette cette fois-ci mais il y a un matelas et une couverture par terre même si je préfère ne pas savoir dans quoi elle trempe...
Cette fois-ci, je n’entends plus mes copains ni personne d’autre et je ne vois plus personne. En face de ma cellule j’ai la porte du couloir, personne n’emprunte ce couloir totalement noir... C’est le début des plus longues heures de ma vie. Je commence à angoisser mais j’arrive à relativiser en me disant que dans maximum 5h je serais sortie. Quand on vient me proposer à manger, je demande l’heure, il est 13h00 et je suis toujours ici. Je demande pourquoi je suis là et cette fois-ci on me répond que c’est parce que je suis la seule fille du commissariat ce jour-là, qu’il n’y a plus de place et qu’on ne mélange pas les femmes et les hommes.
Quand un OPJ arrive, papier à la main, je me lève, presque soulagée, en pensant que c’est fini ! Mais non, il m’annonce la prolongation de ma garde à vue de 24h00 de plus ! J’ai envie de pleurer. Il m’énonce mes droits, mais cette fois-ci je lui dis que je veux tout : coup de téléphone, avocat, médecin. Il me regarde de haut et me dit sèchement : « Pourquoi vous voulez voir un médecin ? Vous n’êtes pas malade ! ». Stupéfaite et humiliée, je renonce au médecin. On vient me chercher peu après, mon avocat est là. Il me précise que nous avons seulement droit à 30 minutes et qu’il va falloir faire vite. J’essaie de ne pas pleurer mais je suis tellement angoissée par cette GAV qui n’en finit pas et en même temps tellement soulagée de pouvoir enfin parler à quelqu’un de mon côté. Je n’arrive pas à retenir mes larmes, il me rassure, me dit que c’est normal, que c’est éprouvant. Au moins si j’étais restée au « chenil », j’aurais été moins seule mais depuis qu’on m’a isolée, c’est l’angoisse totale !
J’ai aussi peur de ne pas pouvoir prévenir mon travail si je suis encore là lundi matin. Il me dit que mon travail ne doit pas être le premier de mes soucis, que les policiers sont dans l’obligation de me laisser les prévenir s’ils me gardent encore ici. Il me conseille de voir un médecin pour prendre un tranquillisant afin de pouvoir dormir. Il m’explique aussi que mes amis et moi, nous sommes « accusés » de vol en réunion et que si c’est avéré nous risquons 5 ans de prison.
Je lui explique aussi que le bouton pour sonner dans ma cellule ne fonctionne pas, et que je suis obligée de taper longtemps, trop longtemps, à la porte pour avoir un verre d’eau ou aller aux toilettes. Et que quand un des policiers veut bien venir m’ouvrir, car ils ne viennent pas toujours c’est souvent en soupirant pour bien me montrer que je « l’emmerde » (pardonnez-moi du terme) à vouloir aller faire pipi ! Il appuie sur le bouton mais celui-ci fonctionne, un policier rapplique à vive allure. Ce n’est rien mon avocat leur dit que c’est lui qui a appuyé malencontreusement sur le bouton.
À la fin de notre entretien, mon avocat dit à un policier que je dois prévenir mon employeur et que je voudrais voir un médecin. Le policier lui répond qu’il va demander tout de suite à l’OPJ et laisse sous-entendre que ce sera fait. On me ramène à mon cachot, l’angoisse remonte. Je tambourine à la porte, demande à prévenir mon employeur, on me répond la même chose. Après plusieurs fois, je leur dis que je ne veux pas perdre mon travail. Plus tard dans la nuit, un policier me répond qu’ils ont prévenu mon employeur. Je sais que c’est faux : ils n’ont ni le nom de mon employeur ni son numéro. Ils veulent seulement que j’arrête. Quand je demande à avoir quelque chose pour dormir, on me répond que ce n’est pas possible, qu’il faut voir un médecin, et quand je demande alors à voir un médecin, on me dit qu’on va demander mais il n’y a jamais de suite. Je dis que j’angoisse, je demande qu’ils laissent la porte au bout du couloir ouverte, que je voie au moins quelque chose du fond de ma cellule, que ce n’est pas possible. Ce sont les policières les pires, elles me parlent pire qu’à un chien, une est venue en m’engueulant comme si j’étais une gamine ou une hystérique. Quand l’une d’entre elle m’accompagne aux toilettes, je lui demande ce que je dois faire si j’ai envie d’y aller et elle me répond « Bah vous tapez à la porte ». Je lui dis que je n’arrête pas de taper et que j’angoisse parce que j’ai l’impression que je pourrai crever ici et que personne ne viendrait m’ouvrir et elle me répond « Non mais on vous voit à la caméra hein ! ». Tu me vois mais qu’est-ce que t’attends alors pour venir m’ouvrir ?
A mon retour en cellule je m’enroule dans ma couverture, je me sens observée par la caméra maintenant et c’est encore plus angoissant. Une lumière agressive brille 24h/24, une caméra est pointée sur le banc qui fait office de lit, le sol et les murs sont recouverts d’excréments. Ça pue ! On me propose à manger vers 20h00, je prends, mais je ne peux pas manger, je n’ai pas faim. Je passe une nuit horrible, impossible de dormir, ça hurle dans le commissariat, j’entends des altercations, puis de la musique, ça rigole, ça crie et moi je suis encore là. Je demande à aller aux toilettes et j’en profite pour demander l’heure, dans ma tête il est au moins 5h du matin et on m’annonce 23h00 ! J’ai l’impression que le temps ne passe plus… Quand je demande des nouvelles de mes amis, on me répond qu’on n’a pas le droit de me répondre. Je redemande pourquoi je suis ici, et si je peux retourner au chenil, cette fois-ci la réponse est encore différent : je suis là car il y a un jeu de la chaise musicale dans les cellules pour éviter que les gens communiquent. Je me dis que si c’est ça, je retournerai peut-être au chenil. Voilà à quoi j’en étais réduite, espérer retourner au chenil mais surtout ne pas rester au cachot. Je retourne me momifier sous ma couverture dégueulasse mais dont je ne sens plus l’odeur, tellement ça fait longtemps que je suis enfermée dans cette boîte.
La nuit passe, petit déjeuner, sirop d’orange, petits beurres. Je redemande à contacter mon employeur, je veux encore croire qu’ils ne vont pas bafouer tous mes droits. A midi, on vient me proposer à manger, je n’ai pas faim et je me replanque sous ma couverture. Quelques heures plus tard, j’entends les voix de mes amis au loin. Je crie alors « Hé les gars, vous allez où ? » mais je n’ai pas de réponse. Un moment après, on ouvre la porte de ma cellule, tellement blasée, je ne me lève même pas et j’ôte juste la couverture de ma tête, « Je viens vous faire signer votre sortie », je n’y croyais plus. Je me lève, j’ai la tête qui tourne et j’ai l’impression que mes jambes vont lâcher ! On m’emmène au poste, je vois seulement un de mes amis, on s’effondre, soulagés ! On est libres ! Les autres quand à eux ont été déférés au parquet, l’angoisse n’est pas terminée. Je demande si je peux avoir une attestation, l’OPJ me dit qu’elle va me la faire. Je lui dis que je vais attendre dehors, il faut que je prenne l’air ! Après 20 minutes, toujours rien, je retourne au poste, une policière me demande ce que j’attends, je lui dis mon attestation. Elle me regarde choquée, « mais qui vous a dit qu’on vous ferait une attestation, n’attendez pas, vous n’en aurez pas ! » Nous avons finalement été enfermés 48h gratuitement, et nous retrouvons sans justificatif de notre garde-à-vue.
Le café que nous avons bu en sortant m’a paru être le meilleur café que j’ai jamais bu de ma vie et l’air, bien que pollué de Paris, le plus vivifiant que j’ai pu respirer. La lumière du jour, le bruit de la ville, tout avait une autre dimension sur le moment. Nous avons pris le premier métro pour retrouver nos amis déférés au parquet et surtout prié qu’ils sortent au plus vite ! Ils sont finalement passés en « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » et sont ressortis aux alentours de 23h avec amendes, heures de TIG mais surtout avec des interdictions de territoire sur la ville de Paris.
Je reste choquée, d’avoir été enfermée de cette façon. J’ai le sentiment qu’on m’a volé 48h de ma vie. J’ai été traitée comme un animal, voire pire, devoir mendier un verre d’eau que je n’osais même pas boire, comme si c’était le dernier, et qu’il fallait le garder précieusement en cas de force majeure, humiliée aussi de devoir supplier pour aller aux toilettes, de devoir faire pipi la porte ouverte, de voir que, pour la plupart des policiers, c’était une corvée de « me sortir faire mes besoins ».
Marie, de Bourgogne
Photo Jean-Baptiste Pellerin
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