Cet
hiver-là, la neige délirait bonnement sous un ciel d’étain. Poudrant
chaque branche, chaque herbe ; mûrissant toutes ses magies. Et il me
semblait que les malades aussi, même les plus dolents, même les plus
amers, même les plus tristes, étaient distraits. Comme réconciliés de
tant de bijouterie, de calme, de silence : ce tombé blanc, cette carole.
Et elle tombait, elle tombait, la neige. Oui, plus personne n’avait sa
voix de bile et les salles de l’hôtel-Dieu, moelleuses comme un œuf, ne
résonnaient plus des plaintes, des râles. En tout cas, une certaine paix
régnait, je crois.
Ma Dame,
j’étais heureux, car Chauliac m’avait
appris à réduire les fractures, en usant d’une voie nouvelle. Avec des
bandes de lin mouillées de blanc d’œuf, sur un cataplasme de feuilles de
consoude ; le tout mis sur la brisure ; ça on savait. Mais la
nouveauté, c’est que pour éviter que l’os ne soit ressoudé de travers,
l’os de la jambe, par exemple, il fallait le maintenir en l’air, libéré
de son poids de chair ; ce qui accélère d’autant la couture. Chauliac
lui-même avait confectionné tout un corps de poulies et de cordes pour
maintenir les fémurs rompus.
Les maîtres sorbonnards avaient beau
moquer et condamner ces nouvelles façons, n’empêche qu’on venait de loin
pour se faire panser.
Se déprendre des textes, des enseignements théoriques pour observer le malade. Partir du sensible, d’abord ; me disait-il.
Chauliac est un grand maître.
Et puis il y a eu cette affreuse peste.
Isabelle Pouchin, Le Médecin d'Avignon, p.82
Peinture, Bruegel L'ancien
C’est dans cet atelier que je veux vivre maintenant. J’y ai mis toutes mes affaires, j’ai essayé tous les coins. J’ai regardé dans tous les sens si je pourrai trouver l’espace d’entrer et de sortir. Si je pourrai transporter assez de moi-même et le disposer comme bon me semble, le partager en morceaux, le rassembler, le mettre en tas. Je veux me cacher dessous, me creuser des failles pour traverser de part en part de l’ombre à la lumière. Il n’y aura pas une petite bête que je ne pourrai aller voir et sympathiser avec, me la mettre entre les jambes, la chevaucher si je veux ou me rouler sur le dos et nous oublier aussi longtemps que le jeu voudra aller. Tiens ! Je pourrais inviter qui je veux à entrer et sortir et s’essayer à toutes les places pour voir comment ça fait d’être moi et moi d’être elle ou lui. Et même les rats, et même les oiseaux morts ou les pétales froufrous tout frais des étoffes des fleurs caressant la peau, sentant bon l’eau des jardins. Pour Adèle, 6...

Commentaires
Enregistrer un commentaire