Ce livre foisonnant fera véritablement foisonner votre esprit
Année après année, l'interminable progression des plantes tentaculaires dont les vrilles s'enroulaient et s'entrelaçaient comme des serpents, étreignant tendrement les racines et les ramures des arbres, dont les extrémités s'épanouissaient en éclosions, avait transformé la cour d'Issa en parfait refuge pour les bêtes comme pour les insectes. Année après année, il s'était perdu dans la contemplation de ce jardin enchanté et avait ainsi eu l'occasion d'observer les volètements des libellules assez longtemps pour devenir le seul homme capable de déchiffrer leur langage.
Chaque fois qu'ils étaient ensemble, Issa se laissait distraire par ces insectes. Pendant qu'il parlait à Beeta ou qu'il l'écoutait, ses yeux mobiles les suivaient d'un côté et de l'autre. Selon leur espèce, leur couleur, leur façon de voler, les endroits où ils allaient, ceux où ils se posaient, le jeune homme pouvait prédire les événements du jour ou de la semaine. Voilà pourquoi il s'était mis à trembler avant de lâcher ses cisailles et de s'enfuir le jour où Beeta avait posé la main sur son bras : à cet instant précis, il avait remarqué une libellule rouge sur l'épaule de ma sœur. Comprenant soudain quelle passion dévorante l'attendait, paniqué, il avait pris ses jambes à son cou ; le jour où il avait vu une libellule jaune sur la vitre de sa fenêtre, il avait su que le moment était venu de lui avouer son amour au lieu d'y résister. La première fois qu'ils avaient fait l'amour, c'était en présence d'une multitude de libellules multicolores, tout autour d'eux sur les fleurs, les buissons et sur les arbres – elles l'encourageaient à s'engager sans réserve dans une idylle à laquelle il serait très difficile de s'arracher. Les libellules se consumaient dans les cercles de feu que faisaient naître les ébats des deux amants et elles tombaient en cendres tout comme l'herbe et les pissenlits sur lesquels ils s'étaient couchés.
extrait de Quand s'illumine le prunier sauvage, de Shokoofeh Azar, traduit de l'anglais, d'après l'original en farsi
photo Jaume Saïs
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