La rivière occupe le centre du livre. Elle coule aussi sur les bords,
très souvent – ou est-ce moi qui ne sais me situer, ni comment je la
regarde. Elle a occupé tous les plans de l'espace, en travers, en
hauteur. Elle m'a barré la route, elle ne m'a laissé aucune chance de
voir plus loin, d'achever ma naissance. Elle a retourné le temps,
escamoté la durée. Nous nous sommes interpénétrés.Dans le livre
j'ai puisé autant que j'ai jeté. Nous nous sommes co-construits au jour
le jour. Et nous sommes voués à l'inachèvement. A nous défaire autant
qu'à nous faire, continuellement. Seuls vont émerger les visiteurs, qui
auront droit à leur finitude. C'est avec eux que nous allons jouer, ils
vont nous représenter dans le monde fini. Monsieur Nuit sera notre
grande trouvaille. De lui vont naître tous les autres. Monsieur Nuit est
né dans notre ventre – comme il se doit. Il était déjà vieux à la
naissance. Ce qui ne l'a pas empêché de grandir. Nous lui avons tout
donné, il nous a tout appris.
Le jour de l'arrestation de Layisho, Martial et Chaïdana Layisho étaient allés pêcher sur le fleuve. Ils avaient fait une excellente pêche. Mais au moment où ils amarraient la pirogue pour rentrer à Yourma, ils virent un triste vieillard à la gorge et au front blessés, qui n'eut pas trop de mal à les convaincre de se laisser dériver par les eaux jusqu'à la forêt des Léopards, puisque Layisho avait été appréhendé et qu'on cherchait ses deux enfants. Martial et Chaïdana Layisho avaient dix-neuf ans. Le vieillard aux plaies leur avait procuré deux sacs d'identités, l'un en cuir rose, l'autre en cuir blanc. Il leur avait donné un grand panier de provisions, de quoi manger pendant deux semaines. Ils se laissèrent dériver pendant huit jours et huit nuits avant de quitter la pirogue et de se lancer dans une périlleuse guerre contre le vert. Là le monde était encore vierge, et face à l'homme, la virginité de la nature restera la même impitoyable source de q
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