La rivière occupe le centre du livre. Elle coule aussi sur les bords,
très souvent – ou est-ce moi qui ne sais me situer, ni comment je la
regarde. Elle a occupé tous les plans de l'espace, en travers, en
hauteur. Elle m'a barré la route, elle ne m'a laissé aucune chance de
voir plus loin, d'achever ma naissance. Elle a retourné le temps,
escamoté la durée. Nous nous sommes interpénétrés.Dans le livre
j'ai puisé autant que j'ai jeté. Nous nous sommes co-construits au jour
le jour. Et nous sommes voués à l'inachèvement. A nous défaire autant
qu'à nous faire, continuellement. Seuls vont émerger les visiteurs, qui
auront droit à leur finitude. C'est avec eux que nous allons jouer, ils
vont nous représenter dans le monde fini. Monsieur Nuit sera notre
grande trouvaille. De lui vont naître tous les autres. Monsieur Nuit est
né dans notre ventre – comme il se doit. Il était déjà vieux à la
naissance. Ce qui ne l'a pas empêché de grandir. Nous lui avons tout
donné, il nous a tout appris.
C’est dans cet atelier que je veux vivre maintenant. J’y ai mis toutes mes affaires, j’ai essayé tous les coins. J’ai regardé dans tous les sens si je pourrai trouver l’espace d’entrer et de sortir. Si je pourrai transporter assez de moi-même et le disposer comme bon me semble, le partager en morceaux, le rassembler, le mettre en tas. Je veux me cacher dessous, me creuser des failles pour traverser de part en part de l’ombre à la lumière. Il n’y aura pas une petite bête que je ne pourrai aller voir et sympathiser avec, me la mettre entre les jambes, la chevaucher si je veux ou me rouler sur le dos et nous oublier aussi longtemps que le jeu voudra aller. Tiens ! Je pourrais inviter qui je veux à entrer et sortir et s’essayer à toutes les places pour voir comment ça fait d’être moi et moi d’être elle ou lui. Et même les rats, et même les oiseaux morts ou les pétales froufrous tout frais des étoffes des fleurs caressant la peau, sentant bon l’eau des jardins. Pour Adèle, 6...

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