La rivière occupe le centre du livre. Elle coule aussi sur les bords,
très souvent – ou est-ce moi qui ne sais me situer, ni comment je la
regarde. Elle a occupé tous les plans de l'espace, en travers, en
hauteur. Elle m'a barré la route, elle ne m'a laissé aucune chance de
voir plus loin, d'achever ma naissance. Elle a retourné le temps,
escamoté la durée. Nous nous sommes interpénétrés.Dans le livre
j'ai puisé autant que j'ai jeté. Nous nous sommes co-construits au jour
le jour. Et nous sommes voués à l'inachèvement. A nous défaire autant
qu'à nous faire, continuellement. Seuls vont émerger les visiteurs, qui
auront droit à leur finitude. C'est avec eux que nous allons jouer, ils
vont nous représenter dans le monde fini. Monsieur Nuit sera notre
grande trouvaille. De lui vont naître tous les autres. Monsieur Nuit est
né dans notre ventre – comme il se doit. Il était déjà vieux à la
naissance. Ce qui ne l'a pas empêché de grandir. Nous lui avons tout
donné, il nous a tout appris.
Par un ciel pâle de décembre, lorsque la mer du Nord se fait étain et que les dunes de Calais retiennent leur souffle, surgissent parfois des hôtes du grand Nord : les Plectrophanes des neiges. Passereaux robustes, trapus comme des galets polis par les vents, ils portent sur eux l’empreinte des latitudes sévères. Leur plumage, savant mélange de blancs et de bruns, semble avoir été conçu pour se fondre aussi bien dans la banquise estivale que dans les sables d’hiver, là où la lumière rase allonge les ombres et apaise le paysage. L’été, ces oiseaux vivent là-haut, aux confins de l’Arctique, sur les toundras rases où la vie s’accroche à la terre gelée. Ils y nichent à même le sol, confiants dans l’immensité et la vigilance collective. Puis vient la grande migration, discrète et déterminée : fuyant la nuit polaire et la faim, ils glissent vers le sud, franchissant mers et plaines, pour trouver refuge dans les zones tempérées. Les voilà alors chez nous, trottinant sur une pla...

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