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Articles

Affichage des articles du juin, 2022

Comme des enfants

     La guerre avait produit beaucoup d'enfants étranges, mais Chiko était unique en son genre. Sa mémoire, disait-on était incomparable. Il pouvait répéter trente nombres comme s'il n'y en avait pas trente mais trois, sans être pris en défaut. Je le vis pour la première fois dans un camp de réfugiés en Italie, en route vers Israël. Il errait alors avec un groupe d'enfants artistes de sept ou huit ans. Il y avait parmi ces enfants des jongleurs, des cracheurs de feu et un garçon qui marchait sur une corde tendue entre deux arbres ; il y avait aussi une petite chanteuse, Amalia, qui possédait une voix d'oiseau. Elle ne chantait pas dans une langue connue mais dans sa langue à elle, qui était un mélange de mots dont elle se souvenait, de sons des prairies, de bruits de la forêt et de prières du couvent. Les gens l'écoutaient et pleuraient. Il était difficile de savoir de quoi parlaient ses chansons. Il semblait toujours qu'elle racontait une longue histoire pl

Fous et enfants

    Dans le ghetto, les enfants et les fous étaient amis. Tous les repères s'étaient effondrés : plus d'école, plus de devoirs, plus de lever le matin ni d'extinction des feux la nuit. Nous jouions dans les cours, sur les trottoirs, dans les terrains vagues et de multiples endroits obscurs. Les fous se joignaient parfois à nos jeux. Eux aussi avaient tiré profit du chaos. L'hospice et l'hôpital psychiatrique avaient été fermés, et les malades, livrés à eux-mêmes, erraient dans les rues en souriant. Dans leurs sourires, en dehors du sourire lui-même, il y avait quelque chose d'une joie maligne, comme s'ils disaient : "Toutes ces années vous vous êtes moqués de nous car nous mélangions un sujet de l'autre, un temps et l'autre, nous n'étions pas précis, nous désignions les lieux et les objets par d'autres noms. A présent il est clair que nous avions raison.Vous ne nous avez pas crus, vous étiez si sûrs de votre bon droit et vous nous mépris

Aharon Appelfeld

    Les eaux tumultueuses Ci-dessous une page du roman Les eaux tumultueuses , 1988, traduction française Valérie Zenatti, © Ed. de l'Olivier, 2013        Cette fois, a priori, il aurait dû être content. On ne jouait pas et on ne se soûlait pas, les repas étaient pris à l'heure et ne ressemblaient pas à des banquets. La mélancolie, tout compte fait, détournait l'excès. Mais Yohann n'était pas satisfait. Il connaissait très bien sa mère et savait que ses folies n'avaient pas de limites, elle était capable de changer de programme à chaque instant et d'annoncer sans préavis : « J'en ai marre de cet endroit, je pars immédiatement. » Et lorsqu'une envie impulsive s'emparait d'elle, personne ne pouvait l'en détourner. « C'est calme, cette fois, n'est-ce pas ? demanda Rita, souhaitant se concilier ses bonnes grâces. — Oui, pour l'heure, répondit-il, tandis que la lueur se rallumait dans son regard. — Et si nous discutions un peu ? — On p