Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles du avril, 2017

Que regardent nos émotions ?

« Dans la mémoire de soi, la vérité des choses est partielle : on ne se rappelle presque rien des milliards de milliards d'informations qui chaque jour nous pénètrent. Puis, on fait une représentation avec ces presque riens qui donnent une forme imagée à ce que nous ressentons. C'est à ce théâtre intime que nous répondons en applaudissant, en pleurant ou en nous indignant, alors que nous ignorons les traces non conscientes et les souvenirs empêchés de nos refoulements. » Boris Cyrulnik, Sauve-toi, la vie t'appelle, Odile Jacob, 2012 Mark Rothko

Ambivalence de l'Utopie

     Quand on se soumet à une représentation, au point de la couper de toute perception réelle, on réalise une abstraction utopique. Quand on rêve d'habiter un non-lieu, une cité idéale où les âmes seraient parfaites, on éprouve un sentiment d'euphorie et de toute-puissance béate. Cette idéalisation est différente du refuge dans la rêverie où l'on souffre moins quand on fuit un réel insupportable. Je me réfugiais dans la rêverie quand, enfant, je fuyais la société persécutrice pour m'isoler dans un souterrain lumineux, affectueusement protégé par mes amis animaux.      Au contraire, un utopiste imagine : "Ce serait merveilleux de vivre ensemble dans une cité pure et juste d'où le mal serait éradiqué. Nos relations seraient angéliques. Nous serions transparents puisque, tous pareils, sans différences, sans étrangers, nous n'aurions rien à cacher, nous penserions comme une seule âme." En Utopie, toute manifestation intime est un acte de désolidarisati

Devant moi

Ici-maintenant, devant cet arbre et sous ce rayon de lumière, en ce lieu et cette heure-ci : en me plongeant dans le miroitement et le bruissement de ces feuilles innombrables, comme en suivant toujours plus attentivement, de chacune, la moindre dentelure ou veinure esquissée — et même comment viendrait-on à bout de cette plénitude si généreusement étalée ? Elle se déploie dans limites, dans l’espace comme dans le temps, et l’on peut aussi s’enfoncer sans fin dans son moindre détail : la connaissance que j’en prends sur-le-champ ne s’annonce-t-elle pas inépuisable dans son afflux d’impressions ? En même temps qu’elle apparaît la plus « vraie » : puisque je n’ai encore rien écarté de son objet et ne me suis pas ingéré en lui par le travail de mon esprit ; que je n’ai pas commencé de le construire. Ma pensée ne s’est pas encore mise en branle pour l’investir et le dépecer : ne l’a pas encore conçu comme un système de rapports, ne l’a pas encore réparti selon une multitude de caract

Un monde d'enfant

C'était donc au petit matin, cette nuit-là. J'habitais chez les Farges, j'avais six ans et j'étais dans mon lit lorsque j'ai été réveillé par des bruits dans la maison. Il y avait beaucoup de monde dans le couloir. J'étais frappé par cette présence de soldats et d'officiers – et surtout de policiers français en civil, avec leurs lunettes noires, leurs chapeaux et leurs revolvers – je trouvais absurde qu'ils aient des lunettes noires la nuit, ça m'intriguait. J'ai alors pensé que les adultes n'étaient pas des gens très sérieux – je n'ai d'ailleurs pas changé d'avis depuis ! – et dans le couloir il y avait aussi des soldats allemands en armes, qui semblaient gênés puisqu'ils regardaient le plafond. Ils regardaient en l'air, peut-être – j'espère – parce qu'ils avaient honte d'arrêter un enfant de six ans et demi. J'espère que c'est ça, mais je n'en suis pas sûr ! Je me rappelle bien la scène, je la