Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles du juin, 2019

Le wagon à vaches

Il y a tellement de richesses dans ce roman — qui est construit sans la prétention de faire un roman, celui-ci se faisant comme par inadvertance, mais qui a déjà (en 1953) cette qualité de parler-direct de la littérature américaine, de parler-libre comme aujourd'hui un roman peut y aspirer — tellement de richesses de vues sur le naufrage le plus actuel de la société humaine, mais qu'il avait su voir dans la guerre et l'après-guerre, tellement de gravité et tellement d'humour qu'on en éclate de rire ou de stupeur. Ce livre, à sa parution, a été IGNORÉ, plus encore que son précédent "La peau et les os", excellent déjà et passé inaperçu. Pour ma part, je considère Georges Hyvernaud comme un écrivain de grand talent et "Le wagon à vaches" comme un livre important, à lire, à conserver et à se transmettre, bien avant d'autres (par exemple L'Étranger, ou La Nausée, les incontournables de l'époque, passés au rang de classiques). Ce "

Le plaisir du texte

Le texte est sous-tendu de plaisir. C'est cette énergie qui l'a fait écrire. Un plaisir de bras et de jambes, de voix, de chaleur, de passion peut-être ou de rage, ou d'amertume, ou seulement de poings serrés, de muscles contractés... C'est tout cela l'énergie qui fait écrire et se transforme en mots, en une autre chaleur, une autre énergie et nous la cannibalisons, nous l'absorbons, nous nous en nourrissons comme les arbres se nourrissent du ciel et de l'eau de la terre, nous en exprimons la musique. Nous faisons jouir le monde, nous en métabolisons tous les éléments. — Ils ne la ramènent plus, les salauds, disait l'édenté. Tout s'était refermé sur les quatre hommes. Ils étaient seuls. Il y avait ce cruel organe d'acier. Il y avait ce mur d'hommes hostiles. Et au-delà, une ville détruite, un monde détruit. Quatre vaincus, avec leurs gueules de vaincus, moisies de peur. Avec leurs vêtements aux poches retournées qui pendaient. Défroque

Comme on a toujours fait

Et nous autres, l'appel terminé, nous nous mettons à tourner autour du camp. Baraques, barbelés, les cabinets au centre. Quatre cent vingt pas : j'ai compté. Quatre cent vingt pas et l'on recommence. Les mêmes pas, toujours, le long des mêmes baraques et des mêmes barbelés, les mêmes pas qui ne mènent à rien, qu'à d'autres pas qui se recommencent, qui se recouvrent sans fin, sur ce chemin sans terme, dans ce pays hors de tout où l'on nous a mis à tourner en rond. Nous sommes là quelques centaines de marcheurs en rond. Presque tous ont pris, ont repris une apparence de paysans. Bonnets, cache-nez, sabots, ces façon affaissées et traînardes, ces pipes mâchonnées au fond des barbes. Sans bien le savoir, nous retrouvons, nous rejoignons l'aspect, la pesanteur, l'humilité de nos pères, de nos grands-pères, des grands-pères de nos grands-pères, hommes de labeur et de pauvreté, gens de la terre, culs-terreux, pauvres bougres qui ont fait tant de pas eux aus

La peau et les os

C'est l'heure où à Saint-Antoine-sur-l'Isle, à La Ferté-Macé, à Villedieu-les-Poêles, les gens regardent le ciel et disent que ça pourrait bien se gâter sur les midi. Des vieilles dames sortent de l'église, porteuses de longs parapluies noir et de chapeaux à brides garnis de perles en jais. On honore gravement, au fond des cuisines, le vin rouge et la miche de pain. Deux messieurs barbichus traversent la place de la mairie. Ils se font des politesses devant l'urinoir en tôle, après vous, je n'en ferai rien, je vous en prie. Le facteur, appuyé sur son vélo, plaisante avec la grande fille qui a été bonne dans un café, à Paris. Une demi-douzaine de gosses se bousculent autour de la pompe de l'école. L'instituteur dessine au tableau noir la Garonne avec ses affluents, la Save, le Gers, et la Baïse. Il pense à des petites villes au nom doux, à Auch, à Mirande. Il pense à la demoiselle des Postes qui justement est de par là, et qu'il a croisée hier da