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Articles

Affichage des articles du janvier, 2015

mémé

Il m'arrive, lorsque j'ai froid aux mains, de penser aux gants de ma mémé. Quand j'étais petite, elle "me tricotait" de haut en bas, en finissant par les chaussettes. Si j'avais tiré un brin de laine de mon bonnet, je crois bien que je me serais détricotée de la tête aux pieds, jusqu'aux orteils. Les derniers temps, ça filait de traviole. Il y avait des mailles à l'envers et beaucoup de mailles perdues dans la tête de ma grand-mère. Je n'ai jamais pu enfiler la dernière paire de gants gris chiné pour la bonne raison qu'elle les avait tricotés avec les cinq doigts identiques, aussi sûrement alignés que les dents d'un peigne. Mes pouces n'y ont jamais trouvé leur chemin, il m'aurait fallu pour cela des mains d'extra terrestre... En la voyant s'obstiner sur son ouvrage, j'aurais pu lui dire : " c'est pas grave mémé, tricote moi des moufles" ou mieux: "tricote moi des moufles sans pouce&

La croyance et la peur

Nous étions alors assis en cercle autour de l'aire des soins, et le nganga, lance en main, s'apprêtait à porter ses fameux coups aux malades pour tuer en eux le ver invisible jeté par les sorciers, quand un énorme lézard se faufila et s'arrêta au centre de la piste, dodelinant de la tête. Après un instant de saisissement, le nganga le transperça de sa lance. Puis il ficela la bête comme un rôti, la fit griller et la mit de côté pour en faire un médicament. Je croyais l'incident clos et sans conséquences. Au petit matin, on apprit la mort de quelqu'un du voisinage. "Nous le savions", me dit le nganga. L'intervention de ce lézard particulier appelé ewedi était un présage de mort. La croyance se nourrit ainsi de petits et de grands évènements, qui surviennent et se trouvent sélectionnés et interprétés en fonction d'une idée directrice qui a déjà fait ses preuves. Eric de Rosny, Les yeux de ma chèvre, collection Terre Humaine, Plon, 1981 Sergey G

Les Zouaves

«    Par les rues du Mouillage, je me rappelle avoir vu les Zouaves en pantalon bouffant et rouge.    Bronzés comme des câpres , gais comme de vrais troupiers français, ils chantaient une chanson qui ne me revient plus. Du refrain pourtant, je me souviens — et pour cause — des derniers mots. Voilà zou-zou ! Voilà zou-zou ! Voilà zou-â-â-â-ve ! ! ! gueulaient-ils à tue-tête, en lançant leurs chéchias dans l'espace... Toutes les fenêtres de la rue se garnissaient alors de minois joliets, curieux de connaître de vrais Zouaves ! Voilà zou-zou ! Voilà zou-zou ! Voilà zou-â-â-â-ve ! ! !    Je les revois, ces Turcos, entraînant avec eux tout un cortège de gamins de toutes nuances — y compris Petit Moi !...    Ces gamins aspiraient à les voir de près, à les toucher, à les palper. Pensez-donc ! des soldats qui reviennent des champs de bataille ne peuvent ressembler à tous les autres.    Le négrillon Pierre, plus bandit que tous, se fourre entre les jambes d'un grand zouave sans

Butins

« On l'aura compris : ce recueil de textes m’a beaucoup intéressée, et [... j’inviterai quiconque...] à y aller butiner, sachant que cela ne suffit pas : s’en servir pour faire son miel nécessite d’y mettre du sien… L’étymologie nous rappelle d’ailleurs que, avant de prendre le sens de « piller », « butiner » signifiait d’abord « partage », qu’il s’agissait de « présenter quelque chose afin qu’un autre puisse le saisir ». Il est vrai que la culture est un butin. A tous les sens du terme, si l'on peut dire – il y en a tant mais tous conviennent, je crois. C'est le miel, couleur de l'or ; c'est le bien commun qu'on s'approprie en le nommant collectivement, et le butin devient aussi le mot lui même, notre langue. Quel beau butin que le créole ! A l'intérieur même du créole, les Antillais ont deux mots, deux jumeaux différents pour le dire (se le héler) de la Martinique à la Guadeloupe "même bitin, même bagaï". Le bagage est au singulier coll

La vie en commun

La vie en commun, sait-on encore que c'est cela qu'on éprouve quand on aime une fille, un homme, un enfant, une fleur, un arbre, une rivière, un oiseau ? La place commune, sait-on encore que c'est là où on aimerait se rejoindre pour laisser éclater la joie partagée, laisser déborder l'hommage aux justes, aux héros ? La scène commune, la part commune, l'œuvre commune, sait-on que c'est de leur perte que nous souffrons, de les rêver que nous peignons ? René Thibaud Peinture de Soaz Saahli

transpar tances

Rester dans la cabine (par où il fallait d'ailleurs passer pour pénétrer dans le tramway) au lieu d'aller s'asseoir à l'intérieur sur les banquettes, semblait être une sorte de privilège non seulement pour mon esprit d'enfant mais aussi, à l'évidence, de ceux des deux ou trois voyageurs qui, méprisant de même les banquettes, s'y trouvaient régulièrement, non pas sans doute pénétrés comme moi de l'importance du lieu, mais, simplement, parce qu'il était permis d'y fumer, à l'exemple du conducteur apparemment taciturne – ou contraint au silence, comme en témoignait dans un franco-anglais approximatif l'inscription : "Défense de parler au wattman" qui faisait en quelque sorte de lui un personnage à la fois assez misérable, d'une caste inférieure, condamné à une muette solitude, en même temps que nimbé d'une aura de pouvoir, comme ces rois ou ces potentats de tragédie auxquels il était interdit par un sévère protocole (et p