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Affichage des articles du avril, 2024

Souvenir d'un veau

Cosmopolitisme et Hospitalité, voici deux mots que j'ai envie de faire chanter aujourd'hui. Ils ont l'air un peu ancien. Mais le temps est vaste. Et le présent est partout. D'abord la montagne, où se touchent ciel et terre, comme gambade en liberté. Un air de folie à cueillir comme une fleur de printemps à un pas du gouffre, présent partout aussi. Et un sourire irrésistible, celui d'un écrivain, un des plus graves et des plus cristallins que je connaisse, l'irremplaçable ami John Berger, pas ami personnel, ami universel, grand écrivain activiste et artiste, je lui vois ces trois dimensions indissociables. Né à Londres en 1926, il a vécu une grande partie de sa vie, jusqu'à son terme il y a quelques années, près des paysans qui lui ont fait place parmi eux dans un hameau de Haute-Savoie, tout en poursuivant son œuvre et ses relations dans le monde. Ces paysans, il les a souvent fait entrer dans ses livres : dans la montagne on vit avec ce qui vous entoure. L&

Côté mer

  Il y avait bien une heure que le car roulait sur la route de corniche quand une inquiétude me prit sur sa destination. Je ne savais à peu près rien de l’oncle qui allait m’accueillir. Je m’étonnais de n’avoir encore jamais cherché à me représenter son visage. Lorsque, huit jours plus tôt, mes parents m’avaient transmis, avec une décourageante tiédeur, sa proposition de m’héberger pour la durée des vacances, je n’avais pas eu une pensée pour l’inconnu. Ce n’était pas lui, c’était la mer qui m’invitait à glisser indéfiniment, entre deux traînes d’écume, d’atterrages secrets en anses paradisiaques. Le car semblait ne devoir jamais finir de louvoyer au-dessus de calanques abruptes et tortueuses. Du dernier point qu’atteignait la route, il faudrait encore une heure de marche pour arriver jusqu’au hameau maritime où j’étais attendu. C’était, disait-on, un minuscule village dédaigné par l’enfance et la jeunesse. Les gens que j’y verrais seraient sans doute pareils au gros homme qui, assis à

Dans le fleuve d'Héraclite

  Dans le fleuve d'Héraclite poisson pêche poissons, poisson équarrit poisson avec poisson tranchant, poisson construit poisson, poisson habite poisson, poisson s'enfuit de poisson assiégé. Dans le fleuve d'Héraclite poisson aime poisson, tes yeux, dit-il, brillent comme poissons au ciel, je veux nager avec toi jusqu'à la mer commune, ô, toi, la plus belle du banc. Dans le fleuve d'Héraclite poisson inventa poisson des poissons, poisson se met à genoux devant poisson, et chante, et prie pour que poisson lui accorde une nage légère. Dans le fleuve d'Héraclite moi poisson singulier, moi poisson distinct, (ne serait-ce que de poisson-arbre et de poisson-rocher), j'écris à mes heures petits poissons à l'écaille si furtivement argentée, que c'est peut-être la nuit qui cligne des yeux, perplexe ? poème de Wislawa Szymborska, traduit du polonais par Piotr Kaminski Quelques extraits du commentaire que Marcel Conche a fait de ce poème, dans Présence de la nat