Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles du janvier, 2022

Mer et Oiseaux

  La cabane aux oiseaux était entrée par effraction dans la vie d’Élie. C’était le domaine réservé de Lisa, son laboratoire, disait-elle. Une drôle de cabane au fond du jardin où Élie ne s’aventurait jamais, jusqu’à ce jour où, ayant une nouvelle à lui annoncer et s’approchant, la croyant là, il eut l’œil attiré par de petits objets entreposés, tous de la même taille, colorés. Curiosité poussant, il avait pénétré dans l’atelier. Des rangées et des rangées de menus cadavres d’oiseaux se trouvaient là. Les uns tels quels, plumes joliment lustrées, d’autres naturalisés, revêtus de minuscules manteaux de laine de couleur et tous posés sur le dos, pattes en l’air. D’où pouvaient venir ces oiseaux ? Depuis combien de temps Lisa s’adonnait-elle à cette occupation et dans quel but ? Le doute avait été levé par Lisa : La Déferlante ! La vague meurtrière que Lisa connaissait depuis son enfance et qui pour Élie n’était qu’un mot. Déferlante qu’elle n’avait plus jamais vécue seule depuis ce fameux

D'elle en oiseau

   Ce soir elle n’a pas envie de dormir. Elle va et vient sans bruit pour ne pas éveiller Frank. Vent de force cinq, mer agitée. Derrière la fenêtre le vent secoue brutalement les acacias et bouscule les cyprès. La pleine lune s’installe. La nuit précédente Célia avait été réveillée par un drôle de bruit, régulier, profond. Ce n’était pas celui du ressac. Plus vibrant, chatoyant : les grands préparatifs d’envol des oies bernaches. Voici plusieurs jours que des milliers d’oiseaux bruns et blancs se rassemblaient à la pointe d’Arceau. À marée basse, ils amerrissaient, se survolaient, cherchaient leur place, cancanant, s’exerçant à former l’escadre, nommant leurs chefs de file, évaluant les repères, dans une puissante houle, un adieu aux territoires de l’été, dans l’instinctif besoin, l’attraction irrépressible du voyage. Frank se retourne bruyamment sur le lit, ouvre un œil et bougonne : – Tu ne dors pas ? Comment dormirait-elle quand il se passe, et sans elle, l’évènement ? Des milliers

La Stella maris

       Souvent, le soir, je me rendais au marché. Le sable sous mes pieds projetait des étincelles pâles. Une chaleur persistante accentuait l’odeur de poisson qui montait en colonne de fumée, avec les heures lentes. Au-dessus des tôles des échoppes, le grand disque de cuivre du soleil basculait sur l’autre versant du monde. Une lune rose cendré levée aux antipodes le repoussait doucement. Elle rendait trouble déjà le regard des hommes qui activaient les feux. Une attente obscure avait commencé, belle et paisible. Dans l’approche du soir, il semblait que la terre entière espérait quelque chose qui viendrait de la mer, à la faveur d’une nuit énigmatique. On pouvait entendre au large le train régulier des rouleaux, leurs lourds convois venus du fond de la mer et les bruissements imperceptibles des vagues brisées sur les coraux de la plage. L’eau du chenal était lustrée d’ombres et de reflets. Sur le chenal, un peu de lumière jaillissait encore de l’étrave des boutres qui r

Sofia Mironovna Verechtchak, résistante

“ C’est l’époque qui nous avait faites telles que nous étions. Nous avons montré ce dont nous étions capables. On ne connaîtra plus d’époque semblable. Notre idéal alors était jeune, et nous-mêmes étions jeunes. Lénine était mort peu de temps auparavant. Staline était vivant… Avec quelle fierté j’ai porté la cravate de pionnier ! Puis l’insigne du Komsomol… Et puis — la guerre. Et nous qui étions comme nous étions… Bien entendu, chez nous, à Jitomir, la résistance s’est vite organisée. J’y ai adhéré tout de suite, on ne se posait même pas la question de savoir si on y allait ou pas, si on avait peur ou non. On ne se posait même pas la question… Quelques mois plus tard, la Gestapo est tombée sur la piste de plusieurs membres du réseau. J’ai été arrêtée… Bien sûr, c’était atroce. Pour moi, c’était plus atroce que la mort. J’avais peur de la torture… Peur de ne pas pouvoir tenir… Chacun de nous avait cette angoisse… Moi, par exemple, depuis l’enfance, j’étais très douillette. Mais nous ne