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Articles

Affichage des articles du juin, 2014

enfant liseur

Se souvenait-il plus particulièrement d'une saison ? Une boule de neige qui s'étoile sur une vitre ? Message ou maladresse calculée ? L'appel rauque d'un chat dans une nuit de mars ou cette pluie d'octobre sur des pavés du Nord Peut-être dans une salle à manger où l'on s'ennuie l'indispensable présence d'un carillon qui sonnait toujours un peu triste, l'heure dépassée, comme un reproche à quelqu'un que l'on aime et qui tarde à venir. Jean Vigna, comme une petite pluie d'automne, Orage-Lagune-Express, 2003 Clément Serveau , gravure sur bois

Poésie et psychanalyse

La poésie et la psychanalyse se rejoignent dans une lecture amoureuse. Dans la lecture, ce sont les mots qui s'aiment. Les mots du lecteur et ceux du livre. Ils s'attirent, ils s'étreignent, ils s'épousent. On peut dire qu'ils se lient, et se délient, qu'ils se délivrent, et se livrent. C'est un amour libre. C'est celui que nous recherchons profondément. En nous, ce sont les mots qui aiment. C'est un amour insatiable des mots les uns pour les autres. Ce sont leurs aventures, heureuses et dramatiques, catastrophiques et salutaires, qui sont la matière première de la psychanalyse, comme de la poésie. René Thibaud, La lecture amoureuse, 2004 Rosso Fiorentino , ange musicien, vers 1521

Manet secret

En 1859, il avait engagé dans son atelier du 38, rue de la Victoire un garçon d’une quinzaine d’années, Alexandre, qui vivait dans une quasi-misère, non loin de chez lui. Manet lui demandait de laver ses pinceaux, de balayer, de nettoyer les lieux. Il le prit incidemment comme modèle pour son Enfant aux cerises de 1859, où il semble respirer l’innocence et le bonheur de vivre, avec ses yeux malicieux sous sa toque rouge, ses cheveux blonds, son nez un peu épaté, sa bouche gourmande, ses mains qui enserrent précieusement le sac de cerises posé sur un muret auquel il s’est lui-même appuyé… Mais cette innocence, cette joie de vivre n’étaient sans doute qu’une illusion. Le plus souvent, l’enfant était ombrageux, taciturne. Il commettait de menus vols. Faut-il penser qu’un jour de l’été 1860 Manet se mit plus violemment que d’habitude en colère contre lui ? On a souligné à quel point il arrivait au peintre de se laisser emporter par ses ressentiments avant de recouvrer la maîtrise de s

Le marché

Berthe a quatre ans, Berthe n’est plus la petite plante fanée du début ; finalement assez solide et vive comme quoi Berthe trotte derrière la mère ; une lieue jusqu’à Lisieux ; chaque samedi matin, elles vont sur le marché vendre un panier d’œufs, une canne de lait, une motte de beurre le marché grouillant bêlant puant pissant, le marché où tournent depuis l’aube, sur des lits de braises de gras moutons parfumés au genièvre ; le marché où des futailles mousse un cidre orange et si vous en répandez sur la table, frottez-vous-en la tête, ça porte chance ! ce n’est pas que ça rapporte beaucoup le lait le beurre et les œufs ; le beurre c’est moins que l’huile pardi ; c’est quasi rien mais le peu que ça paie, ça permet à la mère de rapporter du fil, des chandelles, du son pour les canards ; si ça se peut des galettes, si ça se peut du lard Berthe trotte, ne lâche pas la pogne de la mère chaude le marché, après une heure de marche à travers la campagne gelée la campagne craquan

L'autre jour (menaces du jour et de la nuit 2e partie)

L'autre jour je me suis rendue chez mon ami Félix comme je le fais très régulièrement. Je précise, mais cela n'a pas beaucoup d'importance, que je ne sais toujours pas si son prénom est celui de sa naissance ou s'il s'agit d'un nom d'emprunt. Félix, quelle gageure pour cet homme énigmatique et sombre. Je sonne à sa porte et comme toujours il met un certain temps à ouvrir, non par mauvaise volonté mais à cause du bruit des machines dans son atelier, il faut sonner plusieurs fois. De plus un long couloir sépare l'atelier de la porte d'entrée, le temps d'achever un geste, de déposer un outil et d'aller d'un bout à l'autre du couloir. Cette fois l'attente est suffisamment longue pour me permettre d'évoquer un temps qui n'est déjà plus. Avant, Didi, sa petite chienne, était la première à réagir à mon coup de sonnette, elle me reconnaissait aussitôt et lançait une suite d'aboiements à travers le couloir pour le prévenir d

À l'école

Finalement, ces gosses sont plus intéressantes que leurs réponses évasives ou mécaniques ne le laissaient augurer, au début de l’année. Plus intéressantes et plus secrètes à mesure des leçons. Comme si chaque nouvel exercice éclairait une qualité, un trait de caractère que je n’avais pas décelés. Ou mal appréciés. Un éclairage nouveau avec ses ombres portées nouvelles, aussi. La petite Léa que je croyais sotte est surtout très timide. Depuis quelques jours, elle réussit à s’exprimer par phrases. Lesquelles offrent parfois des trouées de ciel bleu revigorantes : nos tristesses remises… et tablées indolentes. L’interroger plus souvent... Le genre qui s’agenouille devant l’oiseau... Où a-t-elle appris cette grâce ? Isabelle Pouchin, Le roman-poème de Berthe et Emma , Gaspard Nocturne, 2014 Photo, Aline Coton