Un grand rassemblement se tenait devant l'église. On mariait là-dedans. Un prêtre autorisait en latin, avec une gravité pontificale, l'acte animal, solennel et comique qui agite si fort les hommes, les fait tant rire, tant souffrir, tant pleurer. Les familles, selon l'usage, avaient invité tous leurs parents et tous leurs amis à ce service funèbre de l'innocence d'une jeune fille, à ce spectacle inconvenant et pieux des conseils ecclésiastiques précédant ceux de la mère et de la bénédiction publique, donnée à ce qu'on voile d'ordinaire avec tant de pudeur et de souci.
Et le pays entier, plein d'idées grivoises, mû par cette curiosité friande et polissonne qui pousse les foules à ce spectacle, était venu là pour voir la tête que feraient les deux mariés. J'entrai dans cette foule et je la regardai.
Dieu, que les hommes sont laids ! Pour la centième fois au moins, je remarquais au milieu de cette fête que, de toutes les races, la race humaine est la plus affreuse. Et là-dedans une odeur de peuple flottait, une odeur fade et nauséabonde de chair malpropre, de chevelures grasses et d'ail, cette senteur d'ail que les gens du Midi répandent autour d'eux, par la bouche, par le nez et par la peau, comme les roses jettent leur parfum.
Certes les hommes sont tous les jours aussi laids et sentent tous les jours aussi mauvais, mais nos yeux habitués à les regarder, notre nez accoutumé à les sentir, ne distinguent leur hideur et leurs émanations que lorsque nous avons été privés quelque temps de leur vue et de leur puanteur.
Ce jour-là, il dira encore sa hantise du groupe, de cette houle passionnelle qui tue la raison.
Un inconnu jette un cri, et voilà qu'une sorte de frénésie s'empare de tous, et tous, d'un même élan auquel personne n'essaie de résister, emportés par une même pensée qui, instantanément, leur devient commune, malgré les actes, les opinions, les croyances, les mœurs différentes, se précipiteront sur un homme, le massacreront, le noieront sans raison, presque sans prétexte, alors que chacun, s'il eût été seul, se serait précipité, au risque de sa vie, pour sauver celui qu'il tue.
Il écrira comme chaque jour, porté par cette distance bénéfique de l'eau.
Au-delà des colères, des dégoûts, des découragements et des exaltations, Maupassant, dans son escapade au long des côtes de l'Estérel et des Maures, sur son Bel-Ami avec ses deux matelots, vit au grand jour son être-écrivain, nous donne un exemple terriblement émouvant de la perméabilité d'un homme et d'un monde. Nous comprenons mieux son talent, celui d'un conteur, celui qui fait traverser le monde par sa voix, jusqu'à notre rive.
Maupassant le passant, au péril de son être.
A l'écart de Saint-Raphaël ce jour-là, il ira dans les marais de l'embouchure de l'Argens.
A l'heure où le soleil se couche, le marais m'enivre et m'affole. Après avoir été tout le jour le grand étang silencieux, assoupi sous la chaleur, il devient, au moment du crépuscule, un pays féérique et surnaturel. Dans son miroir calme et démesuré tombent les nuées, les nuées d'or, les nuées de sang, les nuées de feu ; elles y tombent, s'y mouillent, s'y noient, s'y traînent. Elles sont là-haut, dans l'air immense, et elles sont en bas, sous nous, si près et insaisissables dans cette mince flaque d'eau que percent, comme des poils, les herbes pointues.
Toute la couleur donnée au monde, charmante, diverse et grisante, nous apparaît délicieusement finie, admirablement éclatante, infiniment nuancée, autour d'une feuille de nénuphar. Tous les rouges, tous les roses, tous les jaunes, tous les bleus, tous les verts, tous les violets sont là, dans un peu d'eau qui nous montre tout le ciel, tout l'espace, tout le rêve, et où passent des vols d'oiseaux. Et puis il y a autre chose encore, je ne sais quoi, dans les marais, au soleil couchant. J'y sens comme la révélation confuse d'un mystère inconnaissable, le souffle originel de la vie primitive qui était peut-être un bulle de gaz sortie d'un marécage à la tombée du jour.
Toute la couleur donnée au monde, charmante, diverse et grisante, nous apparaît délicieusement finie, admirablement éclatante, infiniment nuancée, autour d'une feuille de nénuphar. Tous les rouges, tous les roses, tous les jaunes, tous les bleus, tous les verts, tous les violets sont là, dans un peu d'eau qui nous montre tout le ciel, tout l'espace, tout le rêve, et où passent des vols d'oiseaux. Et puis il y a autre chose encore, je ne sais quoi, dans les marais, au soleil couchant. J'y sens comme la révélation confuse d'un mystère inconnaissable, le souffle originel de la vie primitive qui était peut-être un bulle de gaz sortie d'un marécage à la tombée du jour.
Maupassant, Sur l'eau, 1888.
Bengt Lindström, gouache 76 x 57 cm, non datée
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