Il tousse. Une vilaine toux chronique. Une chose le calme, un sirop, il s'y est habitué. Mais il ne parle pas de sa santé, ou de sa maladie. Il se contente de vivre sa modeste condition de musicien méconnu, d'ancien compositeur — dit-on —, venu d'ailleurs, dans l'est, ou le nord, très âgé déjà, ou du moins aux yeux de Martin quand il était enfant.
Personne ne s'occupe de lui ni ne le fréquente. Toutes les semaines il dirige la répétition de l'Harmonie municipale. Ils font quelques concerts dans l'année, et ils jouent La Marseillaise pour les fêtes officielles. En échange, il a cette chambre branlante, sous les toits. L'Harmonie municipale qui s'était cotisée a fini par lui acheter un vieux Pleyel dans une salle des ventes. En plus des partitions courantes pour les harmonies dont il a un petit stock de copies imprimées, il transcrit, harmonise et compose. De temps en temps, Martin voit son nom indiqué sous le titre des partitions qu'il met sur son pupitre.
Martin est venu à l'Harmonie à l'âge de six ou sept ans. On n'apprenait pas la musique à l'école, mais sa mère, qui en avait rêvé pour elle-même, tenait à ce que sa soeur et lui apprennent la musique. Elle venait le soir, une fois par semaine, les accompagner à la répétition. Elle y restait toute la soirée, avec eux, devant son pupitre au fond de la salle, à suivre sur sa partition, à solfier et chanter quand il le demandait. C'est ainsi qu'il s'est occupé d'eux et de quelques autres gamins.
Clara, la mère de Martin, avait dû abandonner très jeune son travail de secrétaire de mairie, quitter son village des Hautes-Alpes, et suivre son mari dans ce bourg de la région lyonnaise, élever les trois enfants et s'occuper des beaux-parents revêches aux coutumes inconnues d'elle.
Elle était douce et possédait la grâce d'une bergère dévalant les pentes au son des chants de Daphnis et Chloé. Erevan ne pouvait s'empêcher d'aller lui rendre visite quand les enfants étaient là, une ou deux fois par semaine, discret et silencieux, comme par hasard, passant par la porte du jardin, sous prétexte d'envoyer les enfants lui chercher à la pharmacie son fameux "sirop des Vosges Cazé". Il fourrageait dans les poches de son grand manteau ravaudé mais ne trouvait jamais assez de monnaie. Clara, heureusement, en avait toujours pour lui.
Il lui enseigna la musique, à elle comme aux enfants, et elle lui cuisait des petits pains et des brioches que Martin ou ses sœurs lui portaient.
Clara absorbe le soleil. Il est son amant véritable. Elle s'est donnée à lui depuis longtemps.
Maintenant la pâte roule confiante ses flancs gonflés entre les mains de Clara. La pâte respire.
C'est cet enfant-là qui fait du bien à Erevan. C'est du soleil, c'est du miel, qui glisse dans son corps. Clara est trop jeune pour lui, bien trop jeune. Pourtant il partage avec elle le plus profond, le plus grand.
Personne ne s'occupe de lui ni ne le fréquente. Toutes les semaines il dirige la répétition de l'Harmonie municipale. Ils font quelques concerts dans l'année, et ils jouent La Marseillaise pour les fêtes officielles. En échange, il a cette chambre branlante, sous les toits. L'Harmonie municipale qui s'était cotisée a fini par lui acheter un vieux Pleyel dans une salle des ventes. En plus des partitions courantes pour les harmonies dont il a un petit stock de copies imprimées, il transcrit, harmonise et compose. De temps en temps, Martin voit son nom indiqué sous le titre des partitions qu'il met sur son pupitre.
Martin est venu à l'Harmonie à l'âge de six ou sept ans. On n'apprenait pas la musique à l'école, mais sa mère, qui en avait rêvé pour elle-même, tenait à ce que sa soeur et lui apprennent la musique. Elle venait le soir, une fois par semaine, les accompagner à la répétition. Elle y restait toute la soirée, avec eux, devant son pupitre au fond de la salle, à suivre sur sa partition, à solfier et chanter quand il le demandait. C'est ainsi qu'il s'est occupé d'eux et de quelques autres gamins.
Clara, la mère de Martin, avait dû abandonner très jeune son travail de secrétaire de mairie, quitter son village des Hautes-Alpes, et suivre son mari dans ce bourg de la région lyonnaise, élever les trois enfants et s'occuper des beaux-parents revêches aux coutumes inconnues d'elle.
Elle était douce et possédait la grâce d'une bergère dévalant les pentes au son des chants de Daphnis et Chloé. Erevan ne pouvait s'empêcher d'aller lui rendre visite quand les enfants étaient là, une ou deux fois par semaine, discret et silencieux, comme par hasard, passant par la porte du jardin, sous prétexte d'envoyer les enfants lui chercher à la pharmacie son fameux "sirop des Vosges Cazé". Il fourrageait dans les poches de son grand manteau ravaudé mais ne trouvait jamais assez de monnaie. Clara, heureusement, en avait toujours pour lui.
Il lui enseigna la musique, à elle comme aux enfants, et elle lui cuisait des petits pains et des brioches que Martin ou ses sœurs lui portaient.
Clara absorbe le soleil. Il est son amant véritable. Elle s'est donnée à lui depuis longtemps.
Maintenant la pâte roule confiante ses flancs gonflés entre les mains de Clara. La pâte respire.
C'est cet enfant-là qui fait du bien à Erevan. C'est du soleil, c'est du miel, qui glisse dans son corps. Clara est trop jeune pour lui, bien trop jeune. Pourtant il partage avec elle le plus profond, le plus grand.
Sculpture de André Derain, 1907
Ah! Comme j'aime cette vie humble "dévalant les pentes au son des chants de Daphnis et Chloé"! Bon début de semaine chal-heureuse!
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