Les fleurettes blanches
tremblent tremblent au moindre souffle d’air
je vous vois penché sur le dessin de cette fleur
dite «Le désespoir-du-peintre»
je vous imagine ainsi
penché sur votre table
après vous être crevé les yeux à tant de beauté,
dans le jardin – la rose de Damas,
la rose cent feuilles, la rose cannelle,
je vous imagine
vous voulez le dessin parfaitement fidèle
vous voulez la beauté encore, surtout la beauté
ça se paie
par des crampes dans les doigts, votre plume
gratte la feuille, votre plume sévère de botaniste
recommence l'élan de la tige
l'arc du filet
au bout les anthères orange bourses à pollen
flottent
vous ne savez pas encore en l'année 1600 que
ces sacs sont la semence mâle, vous ne savez
rien de la manière mathématique des gonades
mais là, béant suant devant la page
pestant parce que vos doigts sont insuffisants
mais là, réfléchi pis qu'un moine
vous tremblez
déjà vous adoriez tout à l'heure, dans le jardin du
prince-évêque, clos de fascines et de planches
(manquerait plus que ça que les gamins, les
vagabonds maraudent une tulipe que vous avez
fait venir de Turquie)
cela pendant trente ans ; cette adoration, c'est
dire que vous n'êtes pas désespéré
ni déçu ; cela ne se peut pas
quand on couve des yeux plus de deux mille
plantes, quand on dessine plus de mille plantes
vous ne pouvez pas être amer
ni tourmenté
même si tout près du jardin d'Eichstätt, à un jet
de pierre de Nuremberg,
même si par les forêts bavaroises, même si tout
le Saint Empire romain germanique affûte ses
guerres de religions à tour de bras
luthéranistes et catholiques, la belle étripaille
à coup d'épées de piques de haches,
cette sanglade
à moins que ceci n'explique cela
votre adoration
...
Isabelle Pouchin, L'amour profane de Basilius Besler, extrait, premières pages.
portrait de Basilius Besler, 1612
gravure d'après Basilius Besler, détail
tremblent tremblent au moindre souffle d’air
je vous vois penché sur le dessin de cette fleur
dite «Le désespoir-du-peintre»
je vous imagine ainsi
penché sur votre table
après vous être crevé les yeux à tant de beauté,
dans le jardin – la rose de Damas,
la rose cent feuilles, la rose cannelle,
je vous imagine
vous voulez le dessin parfaitement fidèle
vous voulez la beauté encore, surtout la beauté
ça se paie
par des crampes dans les doigts, votre plume
gratte la feuille, votre plume sévère de botaniste
recommence l'élan de la tige
l'arc du filet
au bout les anthères orange bourses à pollen
flottent
vous ne savez pas encore en l'année 1600 que
ces sacs sont la semence mâle, vous ne savez
rien de la manière mathématique des gonades
mais là, béant suant devant la page
pestant parce que vos doigts sont insuffisants
mais là, réfléchi pis qu'un moine
vous tremblez
déjà vous adoriez tout à l'heure, dans le jardin du
prince-évêque, clos de fascines et de planches
(manquerait plus que ça que les gamins, les
vagabonds maraudent une tulipe que vous avez
fait venir de Turquie)
cela pendant trente ans ; cette adoration, c'est
dire que vous n'êtes pas désespéré
ni déçu ; cela ne se peut pas
quand on couve des yeux plus de deux mille
plantes, quand on dessine plus de mille plantes
vous ne pouvez pas être amer
ni tourmenté
même si tout près du jardin d'Eichstätt, à un jet
de pierre de Nuremberg,
même si par les forêts bavaroises, même si tout
le Saint Empire romain germanique affûte ses
guerres de religions à tour de bras
luthéranistes et catholiques, la belle étripaille
à coup d'épées de piques de haches,
cette sanglade
à moins que ceci n'explique cela
votre adoration
...
Isabelle Pouchin, L'amour profane de Basilius Besler, extrait, premières pages.
portrait de Basilius Besler, 1612
gravure d'après Basilius Besler, détail
Cet extrait choisi de " l'amour profane de Basilius Besler" reflète bien le style musical de l'auteur! Il est encore plus beau lu à voix haute, mieux encore, dit et dansé...Beaux souvenirs et très beau livre découvert, lu et relu.
RépondreSupprimerIsabelle Pouchin a raison, la "beauté ça se paie " ... oui, toujours vrai, souvent!
et "la sanglade " encore d'actualité aussi dans le vaste monde...peu de progrès (aucun?) depuis des siècles...
Elle pose un beau regard sur cet homme, cet humaniste et botaniste unique, amoureux du vivant,des fleurs, de la nature, de l'humain entre ombres et lumières, qui aime, qui souffre, qui vit encore à travers ce livre cadeau de vie...
"Vous ne pouvez être amer ni tourmenté" écrit l'auteur, pas comme une injonction mais véritable hymne à la beauté...qui apaise tourments,tremblements.
La gravure illustre merveilleusement bien l'ouvrage ainsi mis en valeur.