J'ai l'impression d'avoir été incarcérée. Quelque chose du bagne. De l'hôpital. De la vie forcée, réduite, entre un lit, un lavabo. Mais c'est toujours dans la réduction de moi-même que j'ai trouvé la force d'écrire. Loin, si loin de la joie, de l'insouciance. Tout près d'un constat glacé. Écrire quand on a toute une famille autour de soi, sortir de son lit à quatre heures du matin, glisser dans le couloir, une lampe de poche à la main, évitant les écueils, jouets qui traînent, chaussures d'enfants, c'est un pas vers la liberté. J'ai toujours trouvé formidablement égoïste de me lever très tôt quand je ne suis pas seule dans mon lit. On vole beaucoup à l'autre. Je connais des hommes qui ne se posent jamais cette question. Cela n'a rien d'admirable de se lever à quatre heures du matin pour écrire. C'est la meilleure heure. La plus pure. La plus lisse. La plus fluide. La plume glisse sans s'arrêter jusqu'à la naissance du monde encore caché. Le bruissement des arbres pour soi seule. Les premiers cris d'oiseaux. Un peu plus tard le ciel blanchit, le chant du coq, pour moi, signe de résurrection. Appel à une vie joyeuse. Dans l'air bat comme un bruit d'enclume. Commence une vie simple où tout s'attacherait à la confection du pain. La toilette. Le marché. Une vie sans histoires où le linge des enfants serait lavé, repassé par d'invisibles servantes au grand coeur, glissant dans la maison à pas feutrés. Les enfants encore lourds de sommeil auraient le poids des grappes et cet air de joie triomphante comme sur les peintures de l'école florentine, où je rêve parfois d'entrer pour y demeurer définitivement.
Françoise Lefèvre, Le Petit Prince cannibale
Pontormo, fresque, école florentine
Françoise Lefèvre, Le Petit Prince cannibale
Pontormo, fresque, école florentine
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