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Quand s'illumine le prunier sauvage (3)

Le courage d'exister

  L'imaginaire n'est pas seulement une liberté, n'est pas seulement un espace et un temps supplémentaires que l'on se donne. L'imaginaire peut être aussi le courage d'exister. C'est pour moi une des leçons de ce grand livre.
Je ne parle pas tant des personnages, bien sûr, que de l'écrivain. (J'emploie ce terme sans précision de genre, comme le fait l'autrice elle-même quelque part dans le livre, pas n'importe où, dans les dernières lignes, pour bien montrer sa part, indissociable de la fiction, comme est l'imaginaire indissociable du réel, cela parlant pour toutes et tous.)
C'est aussi dire que face au dictateur, que dans la guerre, au-delà du réel est l'imaginaire, et que l'imaginaire est encore dans la vie, et qu'il peut se retourner dans le réel.

Les premières lignes :

D'après Beeta, Maman fut frappée d'une illumination le 18 août 1988 à 2h.35 précise sur notre plus haut prunier sauvage, dans le tintamarre de casseroles qui, chaque après-midi à l'heure de la vaisselle, tirait le verger de sa léthargie, en haut de la colline qui surplombait les cinquante-trois maisons du village de Razan. Au même moment à Téhéran, les yeux bandés et les mains attachées dans le dos, Sohrab fut pendu sans avoir été jugé par aucun tribunal et sans savoir qu'il serait enterré en masse avec des centaines d'autres prisonniers politiques dès le lendemain matin. Il serait enfoui au petit jour dans une longue tranchée, au milieu du désert qui s'étendait au sud de la capitale. La fosse commune ne porterait aucun signe, aucune indication, de peur qu'un proche ne vienne s'y recueillir des années plus tard — pas même une pierre tombale que l'on pourrait tapoter avec un petit galet avant de murmurer : « Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu*. »
D'après Beeta, Maman redescendit du grand prunier sans un regard pour ma sœur qui remplissait sa jupe de reines-claudes au goût acidulé, puis elle se dirigea vers la forêt en disant : « Rien de tout cela n'est tel que je le croyais. » Beeta lui demanda de s'expliquer, mais Maman avait l'air envoûté de ceux qui ont la fièvre des forêts, celle que j'appelle « la mélancolie des bois ». Les yeux dans le vague et le pas assuré, elle s'éloigna et grimpa sur le plus haut chêne qu'elle trouva. Elle resta assise près de la cime de l'arbre trois jours et trois nuits, sous le soleil, sous la pluie, sous la lune, et dans le brouillard, à contempler la vie qui venait de lui être révélée.

* Selon cette coutume iranienne, les petits coup frappés sur la tombe sont destinés à réveiller l'esprit du mort qui entendra alors : « Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu. » (note de l'autrice)

Shokoofeh Azar, Quand s'illumine le prunier sauvage, traduit de l'anglais. Original en farsi. 2021

Shokoofeh Azar est iranienne, arrêtée plusieurs fois pour ses articles en faveur des droits humains, elle fuit l'Iran vers la Turquie, et de là vers l'Indonésie, d'où elle voyage en bateau, arrive dans un centre de détention australien pour réfugiés sur l'île Christmas en 2011. Elle obtient l'asile politique en Australie la même année.

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